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piano, publiées par l’excellent violoncelliste M. Joseph Salmon [1].

L’édition nouvelle est, après d’autres, un « arrangement. » Mais elle est loin d’en être un comme les autres. On sait quelle était la l’orme ou la « partition » des sonates de cette époque et de cette espèce. Les maîtres d’alors, mélodistes avant tout, n’en écrivaient que la ligne de chant, au-dessus d’une basse chiffrée que l’accompagnateur au clavecin était chargé de réaliser en accords. Trop souvent les arrangeurs modernes, les Allemands en particulier, se contentèrent d’une « réalisation, » aussi lourde que ce terme lui-même. Il arrivait alors que l’accompagnement, ou, comme on dit en droit, que « l’accessoire » suivait « le principal, » mais ne faisait que le suivre, et de quelle pesante, monotone et fastidieuse démarche ! A cet accessoire, à ces alentours, M. Salmon a souhaité de donner plus d’intérêt et de variété, de communiquer la vie et l’esprit même dont le principal ou le centre était animé. En deux mots, il a voulu, d’œuvres accompagnées, faire des œuvres concertantes. Il y a parfaitement réussi. Aussi bien, il n’est pas impossible qu’à l’origine elles aient été cela. Les virtuoses du clavecin ne devaient pas réduire toujours à des placages d’accords leur collaboration à des chefs-d’œuvre dont assurément ils comprenaient et sentaient la beauté jusqu’à souhaiter qu’elle devint un peu leur. Et dans une certaine mesure, elle le devenait. Ils la servaient, cette beauté première, en serviteurs fidèles, mais libres. Ils lui consacraient leurs talents de musiciens et d’improvisateurs. Soucieux de l’embellir encore, ils ne l’embellissaient que d’elle-même, n’y ajoutant rien que d’elle-même, d’elle seule, ils n’eussent emprunté. C’est dans la seule pensée des maîtres, dans son propre fonds et sa pure substance, qu’ils prenaient les éléments les mieux faits pour l’accroître et l’enrichir. Un chant leur inspirait des contre-chants, leur dictait des réponses ou des imitations. Peut-être même, au-dessus, au-dessous, autour de la mélodie, afin qu’elle en parût moins austère, leur fantaisie ne craignait pas d’égrener les gammes, les traits, les arpèges, comme autant d’agréments ou de parures sonores.

Telle était leur manière, ou du moins il est permis de le croire. Et M. Salmon, le croyant lui-même, n’en a pas eu d’autre. Originale, un peu hardie parfois, elle est constamment intéressante et presque toujours heureuse. Dans l’ordre harmonique, ou thématique, ou rythmique, s’il arrive qu’à première vue, ou plutôt à première ouïe, un

  1. Société anonyme des Editions Ricordi.