Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/220

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Corelli, d’un Porpora ou d’un Marcello, « qui racontera la génération ! » Lorsqu’on entend, j’écrirais volontiers lorsqu’on voit naître et grandir, ne procédant que de soi-même, ne s’accroissant que de sa propre substance, toujours disciplinée, mais toujours libre, cette noble, cette vivante et chantante créature, quand on assiste au progrès, à l’épanouissement de sa force et de sa beauté, l’on doute parfois si le premier et le dernier miracle de la musique ne serait pas un chant pareil à l’un de ces chants.

La joie et la douleur à tous les degrés, la mélancolie et le rêve même, la gaieté, l’esprit et le rire, il n’est rien en nous, rien de nous qu’ils ne chantent. Depuis les « odes » jusqu’aux « contemplations, » toutes les formes du lyrisme leur sont familières. Et ce lyrisme, impétueux et retenu tour à tour, tantôt se déploie et tantôt se concentre. Égale est la puissance, ou la virtù, de ses effusions et de ses raccourcis sonores. Les mélodies les plus brèves ne sont pas ici les moins belles. Toutes le sont tout de suite, dès les premières mesures, dès les premières notes. Éternellement jeunes, d’une éclatante, héroïque jeunesse, elles ont, elles aussi, « des matins triomphants. » Mais les autres, les plus longues, les plus vastes, quelle courbe elles décrivent, et de quelle portée ! Lorsque jaillit une phrase, une phrase italienne surtout, et qu’elle s’élève, s’arrondit comme une voûte, comme une coupole sonore et tout entière vibrante, alors on comprend qu’un grand poète de sa race l’ait définie en ces termes : « un cercle qui serait clos, mais qui se dilaterait continuellement, selon le rythme même de la vie universelle [1]. » Les grands morts, une fois de plus, viennent de ranimer en nous, autour de nous, cette vie. A la fameuse et sotte question : « Sonate, que me veux-tu ? » dételles sonates, après tant d’autres, ou plutôt avant, car elles sont plus anciennes, répondent avec magnificence.

L’éditeur de ces œuvres admirables et leur interprète ne font qu’un. Le virtuose est chez M. Salmon l’égal du musicien. Et l’insigne violoncelliste a bien fait de prendre pour coadjuteur le pianiste de race et de style qu’est M. Marcel Ciampi.


CAMILLE BELLAIGUE.

  1. Gabriele d’Annunzio (Le Feu).