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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/221

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REVUE LITTÉRAIRE

VEUILLOT CRITIQUE LITTÉRAIRE [1]

La critique est premièrement l’art de choisir. Elle sépare les bons et les mauvais livres. Sa besogne ressemble un peu à celle que faisait Alcuin pour Charlemagne, lorsque l’Empereur visitait son école palatine : il rangeait les bons élèves adroite, les mauvais élèves à gauche et les offrait ainsi en deux groupes distincts à l’éloge ou au blâme de Charlemagne. Les élèves qui n’étaient exactement ni bons ni mauvais, qui avaient de gracieuses qualités avec de condamnables défauts, l’histoire ne dit pas où il les mettait. Sans doute, à leur propos, éprouva-t-il quelquefois le sentiment de scrupuleuse inquiétude qui tourmente les critiques doux et honnêtes et les empêche de paraître aussi décidés que tant d’autres. C’est difficile de supprimer toute incertitude à chaque instant, de n’aimer rien dans un livre ou de l’aimer de la première ligne à la dernière. Puis, on n’est pas sûr que ce qu’on aime soit si beau : voire, on n’est pas sûr de l’aimer longtemps. Alors, maints critiques renoncent à juger les livres et, à l’occasion de leur lecture, se bornent à raconter ce qui les amuse ; voilà tout : et c’est une grande faiblesse.

Mais lui, Veuillot, nulle incertitude ne le retarde ; il écrit : « Il y a deux races en ce monde, depuis Abel et Gain, deux races adverses et ennemies. L’une est faite pour croire, pour respecter, pour aimer, pour adorer, pour porter humblement et vaillamment les jougs du devoir. L’autre, incrédule, haïsseuse, impie, blasphème et raille et ne

  1. Louis Veuillot et les mauvais maîtres des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, par G. Bontoux. Du même auteur, Louis Veuillot et les mauvais maîtres de son temps (Librairie Perrin).