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se soumet qu’à la force, pour laquelle elle se sent moins de haine que pour le devoir ; race révoltée contre la société humaine autant que contre Dieu. Les livres nés de cette race ne peuvent me plaire, puisque j’appartiens à l’autre. Dans la race dont je suis, il y a des tribus militaire ? : je suis d’une de ces tribus. » C’est parfaitement net. Deux races, l’une de Gain, l’autre d’Abel ; je suis de la race d’Abel, croyez-moi : tous les livres de Caïn me font horreur. Mais à quoi reconnaissez-vous qu’un livre est de Caïn ou de ses fils ? A l’horreur qu’il me fait.

Vous avez de la chance ! Car il peut arriver qu’un fils de Cain soit un charmant poète, un fils d’Abel le dernier des rimeurs. Cela s’est vu, comme on voit aussi de bien séduisants visages tromper leur monde sur des Ames dénuées de vertu. Dieu n’a pas voulu nous rendre l’erreur impossible ; et il n’a pas refusé tout le génie, tout le talent et la beauté aux fils de Caïn, ni à ses filles, pour donner ces attraits divers aux fils et aux filles d’Abel. La possibilité de l’erreur fait notre mérite, au cas où nous l’aurons éludée ; autrement, nous sommes punis d’avoir cédé aux apparences.

Les lignes que je viens de citer sont de 1859. Dix ans plus tôt, Veuillot publiait ses Libres penseurs, où il traitait sans pitié beaucoup d’écrivains morts ou vivants. L’un de ses amis, le baron de Dumast, l’avait trouvé dur et lui plaida un peu la cause de ses victimes. Veuillot répondit : « Race idiote de Caïn ! Ce n’est pas sur du papier qu’il faudrait écrire, c’est sur leur front avec du vitriol et du fer. Une main viendra, je l’espère bien, plus robuste que la mienne... » Non, cette main, plus robuste que celle de Veuillot, n’est pas venue... « une main emmanchée à un cœur qui les détestera moins et qui les méprisera davantage. Elle les saisira par la nuque et leur écrasera le nez dans leurs ordures. C’est à ce prix qu’ils cesseront de faire tant de mal... Ne vous souvient-il pas de ce propos du bon Joinville qui, voyant les Musulman insulter le camp chrétien, disait à un sien compagnon, quoique ce fût dimanche : Mon ami, fonçons un peu sur cette chiennaille ? Mais qu’étaient ces Musulmans en comparaison de l’infâme bande pour laquelle vous criez merci ! Point de merci, jour de Dieu ! Je sens les éperons qui me poussent d’eux-mêmes aux talons, mon cheval hennit, mon sabre frémit dans le fourreau. Fonçons sur la chiennaille ! » Voilà comment ce fils d’Abel connaît, devine et, pour ainsi parler, renifle les fils de Caïn.

Des noms ! M. le chanoine Bontoux a recueilli en deux volumes les jugements portés par Veuillot sur les « mauvais maîtres » des