Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XVIe, XVIIe e et XVIIIe siècles : Luther, Calvin, Rabelais, Montaigne et Shakespeare ; Molière ; Lesage, Buffon et Beaumarchais ; Voltaire, Rousseau, les Encyclopédistes ; et sur les à mauvais maîtres » de son temps : Victor Hugo, Béranger, Byron, Musset, Henri Heine, Lamartine, Eugène Sue, George Sand, Cousin, Guizot, Thiers, Michelet, About, Renan, Sainte-Beuve, etc. Voilà, en somme, la chiennaille contre laquelle fonçait Veuillot le plus volontiers.

On a peine à le suivre. Et, comme il y a, dans sa chiennaille, la plupart des plus beaux noms de la littérature, on vient à se demander s’il n’avait pas lu haine de la littérature. En 1860, au château d’Erquy, chez un de ses amis, il trouva une bibliothèque très bien garnie de vieux volumes, « un affreux nid de serpents du XVIIIe siècle, charmants de peau, de dorure, d’impression ; quant au surplus, de quoi pourrir la Bourse. » Il y avait Parny et d’autres poètes ou conteurs qu’il ne nomme pas. Il ne décrit pas davantage ces petits volumes, imprimés fin sur du papier bleuté, si agréables à l’œil et à la main ; la dorure en est plus jolie qu’au premier jour : les vignettes ont une grâce démodée, le style aussi. « Nous en avons fait un beau bûcher, lit Veuillot, pour solenniser la fête de saint Vincent de Paul. » Avait-il la haine de la littérature ? Il l’adorait ! Il écrit un jour à sa sœur : « Tout pour Pierre... » C’est le Pape et la littérature est Pétronille .. « Rien pour Pétronille. Seigneur, vous savez si j’ai aimé cette femme-là ! » S’il ne l’avait pas aimée, serait-il un si grand écrivain, si habile et si attentif, non seulement à ses idées, mais encore à ses phrases, à la couleur et à la musique de ses mots ?

Il raconte qu’un jour un de ses camarades vint le voir, qui partait pour le tour de France et qui, dans son sac, emportait un livre, Gil Blas... Tu lis cela ?... Je le relis : « on y voit quantité de figures plaisantes, tout y est raconté drôlement et la vie y est peinte d’une manière qui amuse et qui instruit. Un seul chapitre de Gil Blas me repose ; par ce moyen, je suis seul ou en compagnie comme il me plaît. » Ce n’est pas Veuillot qui parle : c’est le camarade ; mais Veuillot prête la formule, qui est juste et bien aimable. Le camarade et Veuillot, là-dessus, commencent de lire ce Gil Blas et ont résolu de n’en prendre qu’à leur gré, comme dit Veuillot : « nous prîmes tout. » Le camarade avait son existence habituelle dans le monde politique : il y eut ainsi bien des remarques de Gil Blas qu’il se plut à commenter. Et Veuillot ? « Doué de plus de sens littéraire que lui, je commentais à mon tour des saveurs qu’il n’avait pas dégustées... «  C’est d’un amateur ; et l’on s’attend que Lesage soit exclu de la chiennaille ?