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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/230

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littérature et vous lui reprochez de la sacrifier aux besoins de sa polémique : il aime aussi la littérature ; mais il préfère sa religion. Vous demandez grâce pour de beaux vers : eh ! de beaux vers où la morale est offensée ne méritent pas l’indulgence ; « ou bien il faut nier la morale, qu’il est important d’honorer plus que les beaux vers. » Dites le contraire, osez le dire !... Et, si vous prétendez qu’une telle rigueur a passé de mode et ne convient pas à notre époque si tolérante, Veuillot vous répondra que vous mentez, que notre époque n’est pas si tolérante et précisément ne l’est pas pour les idées auxquelles Veuillot se dévoue. D’ailleurs, il ne réclame aucune tolérance en faveur de ses idées, qui sont « la vérité : » ce qu’il veut, c’est la soumission. Veuillot vous répondra, et d’une voix impérieuse et pathétique : « Nous avons, comme nos pères, une âme à sauver ! » Alors, que répliquerez-vous ?

La certitude où est Veuillot de posséder la vérité est admirable et vous incline au respect. Si vous cherchez encore la vérité, vous serez sensible au bonheur de cet homme qui l’a trouvée ; et, bien qu’il vous malmène, vous aimerez son désir de bous amener à son parfait contentement. Si vous êtes venu à la même vérité, il vous fera songer à tant de frivolité qui vous rend tièdes, indignes de votre bonheur, si peu émus de charité apostolique. Vous croyez en Dieu et vous le défendez mal. Vous n’y croyez pas : mais regardez avec envie et sympathie comment se bat le bon soldat du Christ.

Il est beau, quand il refuse toute patience à la Pucelle de Voltaire, aux Confessions de Jean-Jacques et au Diderot de la Religieuse, quand les grands noms des écrivains ne l’empêchent pas de voir la fausseté de leurs doctrines et quand les grâces tant célébrées d’un siècle charmant ne lui dissimulent pas les torts d’un siècle fou : « Mon parti est pris : je m’insurge contre ces cuistres faufilés à des drôlesses... J’honore ce qu’ils ont insulté, je sers ce qu’ils ont haï... J’appartiens à Celui que les rédacteurs du Siècle appellent hypocritement le Christ, mais que leur Déranger appelle un Fou, que leur Voltaire appelait l’infâme, et que j’appelle mon Dieu, Dans cet âge pervers qui l’a injurié, qui l’a trahi, qui l’a renié, partout où je vois ses confesseurs et ses martyrs, là sont mes héros : suppliciés par l’injure ou abattus par le fer, ce sont eux que je salue. Quel chrétien ne préférerait la part de ces humbles athlètes frappés aux pieds de Jésus-Christ à toutes les couronnes de leurs vainqueurs ? » On peut imaginer une autre joie religieuse, plus discrète, et fière avec un peu plus de réserve, et qui n’ait pas cette exubérance ou, quelquefois, cette insolence magnifique. Mais l’insolence est magnifique, aux endroits mêmes où