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Veuillot, manque à toute mesure. Il avait toute sa jeunesse et jusqu’à vingt-cinq ans vécu loin de la religion, dans l’ignorance du catholicisme : sa conversion soudaine excita en lui une ardeur extraordinaire et qui jamais ne diminua.

Ce qui me déplaît, je l’avoue, c’est la dureté avec laquelle, trop souvent, il ne craint pas de secouer et d’accabler, au nom de Dieu, les mécréants qui n’ont pas reçu la même révélation que lui et qui durent dans l’état où il a vécu vingt-cinq ans. Il combat leur doctrine : et c’est à merveille, quand la fausseté de leur doctrine lui fait horreur. Mais il n’a aucune pitié de l’erreur où se trouvent ces pauvres gens ; il ne leur attribue aucune bonne foi et les livre pieds et poings liés à la vengeance du Seigneur : voire, il exerce lui-même la représaille divine Voici Lamennais, Hugo et Lamartine : ces trois-là, dit-il, l’Église, la monarchie et la poésie devaient compter sur eux. Or, ces trois-là ont failli à leur destinée : ils appartiennent à « Celui qui venge tout de suite la vérité abandonnée ; » et l’on refuse de les plaindre. Voici Heine allant à la mort dans les plus terribles souffrances : « Durant huit années, Dieu, appesantissant sa main sur sa chair et sur ses os, le tient suspendu au-dessus de l’abîme et lui laisse toute son intelligence pour le considérer et se sauver. La douleur lui arrache des rugissements et des blasphèmes, pas un mot de repentir, pas un appel à la clémence. La miséricorde fut moins offerte à Voltaire et il la refusa moins. » Bref, s’il est damné, tant pis pour lui ! Et voici Rousseau, défunt Rousseau, dans le temps que Genève se permet de lui élever un monument : « Tristes fêtes dont nous n’osons plus rire, quand nous songeons qu’il est une autre vie et que probablement ce malheureux Rousseau, mort dans l’hérésie, sans sacrements et, selon toute apparence, sans repentir, a plus affaire à la justice de Dieu qu’à sa clémence. Hélas ! là où il est maintenant, quel supplice pour lui que toute cette misérable et fausse gloire, s’il est vrai qu’une peine est ajoutée aux peines des maudits à mesure qu’une âme est perdue par eux. « Il me semble que la religion ne commande pas, et défend plutôt, de préjuger ainsi la décision divine, d’épiloguer sur un cas de repentir et de miséricorde, et enfin d’appeler un mort un maudit. Et Veuillot qui, ayant comparé son aventure d’ici-bas — quelle étrange idée ! — à celle de Heine, écrit : « J’ai grand’chance de me tirer mieux d’affaire au jugement dernier, » ce Veuillot, n’allons-nous pas lui reprocher quelque pharisaïsme ?

Eh ! bien, non : ce n’est pas cela. Veuillot n’était pas pharisien, Veuillot de qui Sainte-Beuve a reconnu la bonté, Veuillot qui écrivait