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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/287

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intérêt les papes prenaient au « maintien de l’état politique de la Pologne : » Clément XIII écrivait expressément que « la sécurité et l’intégrité de la religion catholique y étaient unies[1]. » Il y avait de l’angoisse dans cette affirmation : il espérait que les gouvernants de Vienne, dont la conscience relevait de son magistère, se laisseraient toucher. D’être touchée, cela ne coûtait guère à Marie-Thérèse : « Elle me paraît avoir les larmes à son commandement, écrivait d’elle le cardinal de Rohan ; d’une main elle a le mouchoir pour essuyer ses pleurs, et de l’autre elle saisit le glaive pour être la troisième partageante. » Elle pleurait donc, et sincèrement ; mais était-ce toujours sur la Pologne qu’elle pleurait ? C’était peut-être, quelquefois, sur le tort que lui faisaient à elle-même les deux autres larrons en voulant s’arroger les meilleures parts. D’avance, elle surchargeait de remords ses descendants : « Longtemps après ma mort, disait-elle, on verra ce qui résulte d’avoir ainsi foulé aux pieds tout ce que, jusqu’à présent, on a tenu pour juste et pour sacré. » Mais elle-même se déchargeait allègrement du péché : « Tant de grands et savants personnages voulaient qu’il en fût ainsi ! » Leur avis contrebalançait les objections de l’Eglise ; Marie-Thérèse signait : Placet. Son encre séchait, ses yeux aussi[2]. Le premier partage était consommé, mettant l’Eglise en deuil et Voltaire en joie.

Une joie qui devenait épaisse à force d’être mauvaise : il plaisait à Voltaire que les dévots à Notre-Dame de Czenstokova fussent vaincus, et que l’Impératrice du Nord prévalût sur la Madone. Et puis, de Catherine se tournant vers Frédéric : « Je ne sais quand vous vous arrêterez, lui criait-il, mais je sais que l’aigle de Prusse va bien loin… On prétend que c’est vous qui avez imaginé le partage de la Pologne, et je le crois, parce qu’il y a là du génie. » C’était un amusant paradoxe, de se faire acclamer des salons de Paris comme un libérateur des opprimés, et d’encourager de ses bravos, jusqu’à Berlin, jusqu’à Pétersbourg, les oppresseurs de tout un peuple. Dans la « philanthropique » solitude de Ferney, un esprit matin s’agitait, esprit véritablement tentateur, qui s’en allait, avec toutes sortes de grâces agiles, souffler à l’orient de l’Europe, et qui faisait fête à l’atroce intolérance d’État, installée par les baïonnettes

  1. Montalembert, Œuvres polémiques, I, p. 292.
  2. Sorel, op. cit., p. 52, 199, 248. — Perreyve> op. cit., p. 45.