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impérissable sur la terre »[1]. La Pologne était une preuve, elle fournissait une démonstration : sur les lèvres ou sous les plumes qui voulaient l’aider à souffrir, ces mots revenaient sans cesse, et douloureusement elle s’en enchantait, comme d’un titre de noblesse. Le Poète anonyme méditait encore :


Pour que le royaume que nous demandons chaque jour à notre père céleste puisse advenir en ce monde, il faut que les hommes, même les ministres, deviennent de véritables chrétiens. Cela ne peut advenir avant que le principe des existences nationales ait été reconnu comme inviolable, — inviolable par la raison qu’il vient de Dieu. Ainsi la Pologne, tout en accomplissant sa mission slave, en accomplit une autre qui est universelle. Elle apporte une nouvelle vérité politique et sociale à la conscience du genre humain[2].


C’est à ses souffrances mêmes qu’elle devait cette éloquence et cette fécondité ; elle ne disait si haut des choses si profondes que parce qu’elle était provisoirement rayée du chiffre des États. Un peuple est définitivement invincible lorsque chacune de ses défaites successives lui fait l’effet d’une marque d’élection, dont il peut être fier comme d’autres le seraient d’une victoire : l’Eglise sut proposer à la Pologne cette façon de demeurer une force, et la Pologne l’accepta, avec tout son tempérament, avec toute sa foi.

« Le sang que nous perdons, chantait-elle, relèvera notre patrie, et s’unira à celui de Jésus-Christ[3]. » Tout émancipé qu’il fût d’un Credo, Mickiewicz, parlant à une mère polonaise, lui disait : « Cours te jeter à deux genoux devant l’image de la Vierge des douleurs ; songe à n’amuser ton enfant qu’avec les instruments de ses supplices futurs[4]. » Ainsi les peintres de la Renaissance, faisant errer après des jouets les menottes de l’Enfant-Dieu, mettaient-ils à leur portée, sous ses regards naïvement résignés, une couronne d’épines, une croix, une éponge de fiel. Il y avait chez le petit Polonais, écolier d’une telle discipline, des velléités de Christ, des gestes de Christ, plus prêt encore, parfois, à souffrir qu’à lutter.

  1. Œuvres du Poète anonyme de la Pologne, II, p. 343.
  2. Œuvres du Poète anonyme de la Pologne, II, p. 354-355.
  3. Leblond, La Pologne vivante, p. 278. Paris, 1910.
  4. Montalembert, Correspondant, mai 1884, p. 24.