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V. — ROME AUX PORTES DE L’ORIENT

Cette Yougoslavie constituée, cette Pologne ressuscitée, mettent l’Église romaine aux approches de l’Orient. Pour se faire connaître, pour prendre contact, pour avancer en fraternelle visiteuse, elle possède, à la faveur des nouvelles circonstances politiques, à la faveur des concordats qu’elle-même a conclus, une liberté d’allure que le passé lui avait toujours refusée. Il dépend d’elle désormais, et surtout de ses fidèles, qu’à travers les étapes qui devant elle se dessinent, les pas de ses représentants demeurent purs de toute compromission politique.

Tant que l’Autriche était debout, c’était là chose impossible : quoi qu’ils voulussent et quoi qu’ils protestassent, ils apparaissaient bon gré mal gré devant l’opinion balkanique comme les hommes de l’Autriche.

Tant que la Pologne était à terre et que la bureaucratie russe, pénétrant chez elle, revendiquait une à une, aux dépens de l’Église romaine, les âmes qui priaient Dieu dans un autre rite que le rite latin, les Polonais alarmés pouvaient en induire qu’en dehors de leur propre façon de prier, qu’en dehors de leur liturgie latine, il n’y avait pas de salut pour l’âme slave ; et, quelles que fussent les déclarations des Papes sur la liberté des rites, la foi romaine, s’incarnant dans le sacerdoce polonais, passait facilement aux yeux des Slaves pour l’ennemie de cette liberté.

Désormais, toutes ces équivoques sont abolies. L’Eglise n’est point liée au cadavre de l’Autriche. La libre et souveraine Pologne n’a plus à craindre que sur son territoire les autres Slaves qui pratiquent le rite slave soient, à ce titre, brutalement séparés du bercail romain. Entre les clergés polonais, lithuanien, ruthène, la tyrannie s’efforçait d’attiser des haines, que leur commun attachement à Rome ne suffisait pas toujours à assoupir ; et lorsque en 1894 Léon XIII invitait les évêques polonais à considérer et à traiter les Ruthènes unis à Rome « comme des frères n’ayant qu’un cœur et qu’une âme, » il savait tout le premier quelles étaient les forces de division qui tiendraient en échec ces sages conseils. Mais la liberté, désormais, peut et doit ramener avec elle la douceur de