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Et Kalnoky, moitié hautain, moitié plaisant, affirmait à Strossmayer : « Si j’avais entretenu Milan de ce sujet si grave, il eût certainement changé d’avis. »[1]. L’idée du concordat serbe demeurait dans l’air : « Je veux nationaliser le catholicisme en Serbie, » confiait Léon XIII au marquis de Reverseaux, qui s’en allait occuper le poste de ministre de France à Belgrade. Plus tard, sous le roi Alexandre, l’idée se précisa, prit corps ; elle se fixa même sur le papier ; mais, un jour, le dossier des pourparlers que M. Vesnitch avait ébauchés avec le cardinal Rampolla disparut de la table royale… Les ennemis du concordat serbe avaient le bras long, et la main preste.

Vienne détestait le cardinal Rampolla ; dès lors que cet homme d’Eglise poursuivait une politique de libération, Vienne se sentait lésée. Il eût aimé une combinaison diplomatique dans laquelle la France, la Russie et l’Autriche, — une Autriche autrement gouvernée, autrement orientée, — auraient fait contrepoids à la prépondérance de Berlin ; mais la vaincue de Sadowa n’était plus qu’une captive entre les mains de son vainqueur. On eut en 1892 ce spectacle piquant : la chancellerie de François-Joseph polémiquant contre la secrétairerie d’État par l’intermédiaire du juriste allemand Geffcken et d’un anonyme de la Contemporary Review, et le Vatican ripostant par une brochure d’un jésuite, le P. Brandi. Geffcken et l’article anglais célébraient l’Autriche comme une sorte d’Eldorado du catholicisme. Mais Léon XIII savait à quoi s’en tenir : les façades ne lui en imposaient point.

Il avait de bons rapports avec François-Joseph : il sentait une immense pitié pour la douleur paternelle qui, dans un télégramme affolé, l’avait pris pour confident de ce mystère lugubre, la mort de l’archiduc Rodolphe ; mais ce pauvre successeur de Charles-Quint ne fit jamais à Léon XIII l’effet d’une « moitié de Dieu. » Les documents successifs par lesquels le Pape invitait les évêques d’Autriche à se réunir périodiquement, les Bénédictins autrichiens à s’unifier, les Franciscains autrichiens à se réformer, sanctionnaient de longues études qui lui avaient révélé certaines tares. À la fin du siècle, sans beaucoup se gêner à l’endroit de cet Empire qui se piquait d’être catholique, le luthéranisme germanique y poussa tout d’un coup des

  1. Loiseau, Le Balkan slave et la crise autrichienne, p. 215-219.