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chaque année un présent plutôt qu’un impôt. Sans doute, on retrouve bien ici, comme dans tout le reste de l’Atlas, ces petits conseils locaux, ces parlements de tribu, bavards, défiants et agités, qui constituent essentiellement le gouvernement des Berbères, mais chez ces Berbères du Sud, les Chleuh, comme ils se nomment, ces assemblées ont perdu à peu près tout leur prestige.

Comment cela s’est-il fait ? Comment s’est établi ce gouvernement oligarchique qui semble répugner si profondément au tempérament de cette race ? Peut-être que ces différences entre gens du Nord et du Sud tiennent au caractère du pays qu’ils habitent. Dans les plis enchevêtrés du Riff et du Moyen Atlas, les montagnards trouvent des vallées suffisamment fertiles pour fournir à leurs besoins et où ils peuvent perpétuer, sans souci du reste du monde, leur antique vie anarchique. Mais dans ce Grand Atlas, les vallées sont beaucoup plus rares, et si pauvres qu’il faut aller sans cesse demander sa vie aux campagnes qui entourent Marrakech. Les seigneurs dont les kasbah commandent les passages par lesquels on traverse la montagne, tiennent naturellement à leur merci les populations obligées de passer sous leurs châteaux forts. C’est ainsi que, depuis des siècles, la nécessité et l’habitude ont fini par créer entre ces Chleuh et leurs caïds, des relations de vassal à suzerain faites, comme dans notre moyen âge, d’un mélange difficilement dosable de crainte, de respect et d’amitié.

Ces grands seigneurs eux-mêmes sont attachés au Sultan de la même façon que leurs tribus leur sont soumises, étroitement si le Sultan est fort, d’une manière toute nominale s’il n’a pas le moyen de faire sentir sa puissance. Ils lui paient des redevances, accompagnent ses harkas, lui fournissent des contingents, et, quand il vient à Marrakech, lui présentent l’hommage. Entre eux ils se haïssent, se réconcilient et se brouillent avec une facilité déconcertante, toujours prêts à se trahir, même lorsqu’ils semblent le plus amis et qu’ils s’accablent les uns les autres sous l’excès de la politesse orientale. Les sentiments, au Maroc, ressemblent assez aux constructions, fragiles et toujours prêtes à s’effriter en cendres. C’est le pays de l’écroulement, de l’inconsistant, dii précaire, du vent qui emporte sans cesse tous les murs de boue en poussière. L’ambition et la jalousie qui ne cessent jamais de souffler sur ces têtes forcenées