Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/375

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Voici et hadj Thami Glaoui, pacha de Marrakech et frère cadet du Madani, fastueux seigneur qui aime la guerre, les constructions splendides, tous les luxes de son pays et du nôtre, les belles armes, les automobiles, et qui, avec son long visage maigre, ses grands yeux, son air félin, doux et violent tout ensemble, son sourire énigmatique, l’extrême recherche de sa toilette (toujours dans la simplicité, mais d’un goût achevé et d’une élégance unique, car il ne porte rien qui n’ait été tissé spécialement pour lui par les femmes de ses tribus) rappelle assez bizarrement sur cette frontière du Sahara un seigneur du XVIe siècle de France ou d’Italie. Et sans doute la culture de l’esprit est moins riche que celle d’un Borgia ou d’un Ludovic le More, mais il y a beaucoup de poésie chez ce Chleuh qui, dans sa jeunesse, — il approche de la quarantaine, — ne pouvait assister aux chants et aux danses de son pays sans se jeter aussitôt avec passion dans l’improvisation et la ronde. Grand homme d’affaires, à la manière d’Europe et à celle de l’Orient ; habile à tirer des ressources de tout ce qui dépend de lui (et c’est Marrakech tout entier, depuis le plus gros bourgeois jusqu’au plus humble artisan, sans en excepter les morts avec les biens qu’ils laissent derrière eux) ; propriétaire considérable de terres, de maisons, de jardins ; très préoccupé de l’idée que ces fortunes féodales sont déjà menacées par l’esprit démocratique que nous amenons avec nous, et se hâtant d’accumuler toutes les richesses possibles afin de demeurer un grand seigneur encore, quand sa puissance politique se trouvera diminuée. Avec cela, grand homme de poudre, guerrier superbe qui sait lâcher, quand cela est nécessaire, ses préoccupations administratives et bourgeoises, pour aller, à la tête de ses harkas, batailler dans l’Atlas, risquer vingt fois sa vie pour notre intérêt et pour le sien, incendier des kasbah, procéder à des justices sommaires. Après quoi, il revient à Marrakech, et de nouveau on le revoit dans son automobile, l’air affable, élégant, ou bien chevauchant sur sa mule entre son musicien égyptien, qui joue pour lui sur le théorbe les dernières nouveautés du Caire, et un de ces personnages à la mine inquiétante qui, dans les Mille et une Nuits, exécutent au fond des ténèbres des besognes que leur maître est toujours censé ignorer.

Il y en a bien d’autres encore de ces féodaux de l’Atlas,