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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/382

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avoir leur récompense. Mais il se heurta aux Tazi, riche famille d’origine hébraïque devenue musulmane, qui dirigeait à ce moment toutes les affaires de l’État.

Il suffit d’avoir vu un de ces Tazi cinq minutes — Omar Tazi, par exemple, confident d’Abd et Aziz et organisateur de ses plaisirs — pour se rendre compte aussitôt qu’un Glaoui et un Tazi ne pouvaient pas s’entendre. Omar, gras et blanc de peau, le poil roux, les yeux petits et plissés, la démarche dandinante, un ventre plein d’embonpoint, laisse éclater dans toute sa personne un sentiment rabelaisien et tout sensuel de la vie. Le Glaoui, sombre, ascétique, les yeux brillants, magnifiques de passion, aristocrate dans tous ses gestes et dans sa voix tout ensemble autoritaire et modérée, fait penser à quelque portrait de Philippe de Champaigne ou plutôt du Greco par l’austérité des traits, la couleur terreuse de la peau, l’admirable éclat du regard, la longue et maigre dignité de tout le corps. Dans ces deux personnages s’opposent deux conceptions de l’existence, l’une assez plate et avisée, l’autre très certainement elle aussi remplie d’égoïsme et d’ambition personnelle, mais ardente, follement passionnée, et qui semblait, en apparence du moins, écarter toutes les bassesses et les mesquineries de la vie.

Pendant cinq mois, ce Glaoui plein d’orgueil, habitué à voir les gens de la montagne accourir du plus loin qu’ils l’apercevaient pour lui baiser le genou, dut faire sa cour à ces Tazi. Pendant cinq mois, cet homme amoureux de la puissance et du faste fut humilié de leur luxe écrasant, car ils menaient aussi grand train que le sultan lui-même dans leur palais magnifique, au milieu de leurs innombrables esclaves. Plein de rancune, et n’ayant obtenu, contre de grosses sommes d’argent, qu’une faible partie des avantages qu’il avait espérés, il dut reprendre le chemin de Marrakech.

Il y avait alors, là-bas, comme vice-roi du Sud un des frères d’Abd et Aziz, Moulay Hafid, surnommé « le teigneux, » sobriquet qu’il méritait doublement, à cause de sa malignité et qu’il avait la teigne en effet. Au fond d’un palais délabré, il menait l’existence fort médiocre qui est le lot ordinaire des fils et des frères de sultan. Sans argent et sans influence, c’était un bien petit personnage à côté des grands seigneurs de l’Atlas. Mais son intelligence, son érudition théologique, ses talents de