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spirituel de l’humanité chrétienne, demeuraient tenaces et se faisaient sévères ; et comme il les décevait en ne prenant pas lui-même l’accent d’un belligérant, le parallélisme qui existait entre les conceptions politiques de l’Entente et celles du Vatican demeurait malencontreusement voilé.

Léon XIII et Pie X avaient empêché que l’Autriche n’exploitât le catholicisme pour les intérêts du germanisme : deux concordats avaient mis bon ordre. Benoit XV survint et certaines de ses suggestions, — faites avec sa manière propre, à laquelle souvent l’on fut inattentif, — furent une secousse pour les maximes d’oppression qui étaient devenues l’assise même de l’Autriche. À l’encontre du germanisme prussien maître de Strasbourg et de Posen, à l’encontre du germanisme autrichien maître de Trieste, de Prague et de Zagreb, l’Entente luttait pour que les peuples asservis fussent affranchis. De son côté, Benoit XV demandait, dès le 28 juillet 1913 : « Pourquoi ne pas peser dès maintenant, avec une sereine conscience, les droits et les justes aspirations des peuples ? Pourquoi ne pas entamer de bonne volonté un échange direct ou indirect de vues ayant pour but de tenir compte, dans la mesure du possible[1], de ces droits et aspirations ? »

Imaginez, en cet été de 1915, Lamennais ressuscitant, regardant l’Europe, constatant que les Puissances qui ont pour elles la justice ne sont encore assurées d’aucune prépondérance de force, et puis écoutant le Pape, et relevant sous la plume papale ces mots chers à son génie : « droits des peuples, aspirations des peuples : » il eût conclu qu’il y avait quelque chose de changé depuis l’heure où il accusait rapidement Grégoire XVI d’être le captif de Metternich ; et quant à Metternich, il eût, une fois de plus, inculpé de libéralisme le Vicariat spirituel du Christ. Le temps n’est plus où, suivant le mot de Montalembert, « l’impitoyable diplomatie distribuait les hommes comme de vils bestiaux et vendait la foi des nations au plus offrant[2]. »

  1. On insinuerait à tort, croyons-nous, que ces mots : dans la mesure du possible, pouvaient marquer une atténuation savantes de la pensée pontificale. Ces mots prévoyaient, bien plutôt, les impossibilités effectives auxquelles tôt ou tard on devait se heurter, dans certaines zones mitoyennes, pour régler l’attribution des populations, et qui devaient une fois de plus démontrer que le principe des nationalités, poussé jusqu’à l’extrême, n’est plus qu’une « fausse idée claire, » suivant l’heureuse expression de M. Hauser.
  2. Montalembert, Œuvres polémiques, I, p. 123.