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A la princesse Wittgenstein.


Pollone, décembre 1872.

Je viens de lire votre travail avec la plus sérieuse attention.- Je suis tout déçu d’être interrompu au milieu de la peinture si vivante, si spirituelle, si neuve des Congrégations romaines. Ne me tenez pas rigueur de mon retard, et envoyez-moi la suite ; maintenant que j’ai repris mes habitudes régulières de travail, je ne vous ferai plus attendre. J’ai écrit en marge quelques observations. Sur le style mon jugement est le même ; il a de belles parties de mouvement et de souplesse et de nombre ; il est riche, fin, expressif ; je le voudrais plus resserré. Il y a tant d’idées et d’observations dans ce que vous écrivez que le remplissage des paroles est inutile. Je suis convaincu que ce que je vous envoie gagnerait à être condensé. Pour le fond, je vous trouve très hardie : c’est du catholicisme mennaisien ; vous serez mise à l’index. Vous rajeunissez et fortifiez la thèse libérale, mais vous y abondez. Et le Syllabus ! Je sais bien qu’en théologie tout s’arrange et se concilie ; votre peinture des effets de l’absolutisme est de toute beauté et vous avez su trouver des vues propres en un sujet si exploré. Seulement, la conclusion est que la destruction du pouvoir temporel est un bienfait ! Le remède, selon vous, est un 89 spirituel, un affranchissement du prêtre du laïque et de l’Église redevenue la réunion de tous les fidèles et libérée du joug de l’évêque. D’après la loi de retard que vous signalez dans les évolutions romaines, lorsque nous aurons fini nos révolutions terrestres, l’Eglise commencera les siennes. Votre œuvre m’a beaucoup appris, beaucoup fait penser, et je vous engage vivement à la continuer, en y mettant du mystère toutefois, si vous ne voulez pas être retranchée de la communion des purs et des dévoués [1].

Que vous dirai-je de nos affaires ? La Droite et Thiers me font l’effet de ces gondoliers vénitiens qui s’injurient beaucoup de loin et qui radoucissent le ton dès qu’ils se rapprochent. Ils ne sont pas plus vaillants les uns que les autres ; Thiers est seulement plus adroit. Cela lui donne des chances. Mais après ?

  1. Le livre de la princesse Wittgenstein fut, en effet, mis à l’index.