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Avons-nous affaire, du moins, à une démocratie allemande ? C’est la deuxième question que nous posions tout à l’heure. Et la réponse me paraît plus incertaine encore.

Tout le monde connaît les circonstances par suite desquelles le pouvoir a passé, en Allemagne, d’Hertling à Max de Bade, de Max de Bade à Ebertet à Scheidemann : le voici, maintenant, entre les mains de Bauer, d’Hermann Müller, de Noske, d’Erzberger. Pour combien de temps ? L’Empereur a fui : on ne peut pas dire que la dynastie ait renoncé, ni même que « l’autocratie prussienne » (pour parler comme le président Wilson) ait perdu ses droits. Le mystère plane sur tout cela. On ne sait qu’une chose : c’est que l’Empire allemand a passé la main aux partis avancés, pour laisser, à des personnages de valeur et d’origine médiocres, la charge de signer la paix. Est-ce cela, une démocratie ? L’Empire allemand s’est mis volontairement en mue ; il s’est revêtu de la teinte du milieu ambiant pour essayer de se sauver : il ne semble pas qu’il y ait autre chose. L’avenir, un prochain avenir, nous apprendra ce que vaut cette « République allemande. »

En tout cas, elle n’est pas, jusqu’ici, ce régime populaire, conscient, sincère et pur de toute tache dont rêvait le président Wilson. Si elle dure, une fois la paix signée, si le parti militaire sur lequel elle est obligée de s’appuyer ne la supprime pas, sa destinée est écrite d’avance, car elle résulte de la nécessité où se trouve cette république, qui n’a que le souffle, de se séparer des partis de gauche et de devenir un gouvernement d’ordre ; sans une organisation forte, c’est-à-dire à tendance réactionnaire, elle ne pourra franchir le pas où l’Allemagne est engagée. L’Allemagne n’a pas l’habitude de la liberté. Pour qu’elle la prenne, il faut qu’on la lui impose. L’abbé Wetterlé, dans ses fines et sagaces observations sur un peuple qu’il connaît bien, dit : « Les pangermanistes eux-mêmes reconnaissent que le fond du caractère allemand est le servilisme : dienernatur (nature de domestiques). De fait, il faut toujours, à ces hommes sans individualité, des seigneurs, et, quand ils n’en ont pas, ils s’en donnent. »

La République allemande cherchera donc « ses seigneurs. » Ne les trouvant pas ailleurs, elle prendra ceux qui viennent de Berlin. Conservatrice, et même militariste par nécessité, — puisqu’elle sera balayée le jour qu’il plaira aux militaires, —