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et ce qui est effet. De plus, Maximilien comparait sans cesse Bianca, de Milan, à sa première femme, manie assez fâcheuse chez un veuf, et s’il la trouvait bien aussi jolie que Marie de Bourgogne, il l’estimait fort inférieure en sagesse, et il le disait. Il est vrai qu’il ajoutait philosophiquement : « Elle se fera ! »

Au fond, les Milanais étaient bien un peu de son avis. C’est une singulière impératrice qu’ils lui avaient amenée, là. Elle avait des manies fort peu impériales, par exemple, celle de manger sur ses genoux, dans sa chambre, au lieu d’aller dîner avec l’apparat habituel des festins de cette époque. Il fallut que ses mentors, Brasca et Maffeo, lui fissent de respectueuses remontrances pour qu’elle se décidât à plus de morgue. Mais alors elle en avait trop, et une fois dans l’appartement du Roi, prenait un ton impérieux, qui contrastait fort avec son habituelle nonchalance. Surtout elle était gourmande, ou mieux gloutonne, d’une gloutonnerie satisfaite et irréfrénable, qui lui causait des indispositions fréquentes, alarmait ses médecins et faisait l’objet des rapports secrets des diplomates. Ce vice léger, mais apparent, ne rehaussait pas, aux yeux de la Cour, son prestige. Il le diminuait fort aux yeux de son mari, qui attribuait à son régime sa stérilité. Il lui reprochait aussi son trop de dépense, — reproche inattendu chez l’homme dont Machiavel a dit : « Il n’existe et n’a jamais existé, je crois, de prince plus dissipateur : c’est ce qui fait qu’il est toujours dans le besoin et que, quelle que soit la situation dans laquelle il se trouve, il n’a jamais assez d’argent. » Reproche inattendu, mais logique, car il souffrait d’autant plus du défaut de sa femme qu’il en était affligé lui-même, et qu’ainsi les exagérations de leurs deux caractères s’additionnaient, au lieu de se compenser.

Et Maximilien, lui-même, aurait eu grand besoin d’un pondérateur. S’il faut en croire Machiavel, c’était l’inconstance même. « Aujourd’hui, il veut une chose et ne la veut pas le lendemain. Il refuse de prendre les avis de personne et croit ce que chacun lui dit ; il désire ce qu’il ne peut avoir et se dégoûte de ce qu’il pourrait obtenir : de là, les résolutions contraires que je lui vois prendre à chaque instant, » dit le secrétaire florentin. Et il ajoute ce trait qui peint bien « l’homme aux grandes pensées, « plus philosophe que roi : « Dans ses audiences,