Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/589

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

duchesse mère, Bona, qui, de l’exil où elle était retournée, adressait à sa fille des lettres gémissantes et indignées. Ces lettres, à la vérité, ne parvenaient pas toujours à la destinataire. Elles étaient parfois brûlées par les secrétaires, que le More avait prudemment interposés entre sa nièce et le monde extérieur. Mais, à la longue, Bianca finissait bien par savoir que tout n’allait pas pour le mieux entre son oncle et sa mère, et, dans la mesure où le lui permettait son indolence, elle tâchait d’y remédier.

La mort de son frère ne fut que le début d’une série de deuils ou d’alarmes. Les Français, descendus en Italie avec Charles VIII, à la requête du More, semblaient se retourner contre lui et mettre le duché en péril. Puis, arriva la nouvelle que la petite Bianca Giovanna Sforza épouse, à treize ans, du beau Galeazzo de San Séverine, venait de s’éteindre et, avec elle, la lumière et la joie de la cour ducale [1]. Peu après, la mort foudroyante de Béatrice d’Este achevait d’accabler l’ « Enfant de la Fortune, » jusque-là si insolemment heureux. « Nous sommes surtout très chagrins, lui écrivit à ce sujet Maximilien, de penser que vous, que nous aimons tant, vous aurez perdu en elle, non seulement une douce épouse, mais une compagne qui partageait, à un si haut degré avec vous, le fardeau du pouvoir et dissipait vos soucis et allégeait vos peines par sa présence. Quoi qu’elle fût du petit nombre des femmes dignes d’un perpétuel regret et d’un souvenir éternel — (Maximilien pensait assurément en écrivant ceci à sa première femme, Marie de Bourgogne, et l’on ne sait comment Bianca interpréta ce « petit nombre), — cette mort prématurée n’est pas un véritable malheur pour elle car, puisqu’il faut que tous nous mourions un jour, ceux-là sont plus favorisés qui meurent jeunes et qui, après avoir vécu une heureuse jeunesse, ignorent les calamités sans nombre de ce triste monde et les maux de la vieillesse. Votre femme, très favorisée du sort, a eu tout ce qui embellit la vie : aucun don du corps ou de l’esprit, aucun privilège de la beauté, ni de la naissance, ne lui ont manqué. Elle était, à tous les égards, digne d’être votre épouse et de régner sur le pays le plus florissant de l’Italie. Elle vous a laissé les plus aimables enfants, qui vous

  1. Sur Bianca Sforza, fille de Ludovic le More, voyez la Revue du 15 novembre 1918.