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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/656

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toute l’exactitude du terme : celui qui guide l’âme chrétienne, pieuse, beaucoup moins dans la vie courante et active que dans la vie intérieure invisible.

Et voici qui mérite d’être souligné plus encore : c’est qu’en cet office, il s’affirme un mystique, je veux dire un théologien de l’amour divin trouvé dans « l’oraison ».

C’était, par excellence, une femme d’œuvres que cette Allix Clerginet, laquelle est, selon l’hypothèse absolument vraisemblable de M. l’abbé Levesque, la « demoiselle de Metz » des éditions. Mais c’était aussi une fort dévote personne, chez qui la propagande dérivait d’une concentration mystique, l’action de l’oraison.

Comment elle fut amenée à s’ouvrir à Bossuet du souci qu’elle avait d’attiser en elle-même ce foyer de vie, l’amour de Dieu, — les nouveaux éditeurs de la « Correspondance » l’ont singulièrement bien éclairci.

Le 15 mai 1659, Bossuet, revenu de Paris, — où, depuis quelques semaines, il avait commencé de s’établir, — prêchait à Metz, dans cette maison précisément dont la sœur Allix était supérieure, pour la profession d’une postulante, la sœur Claude Maillard. Il exposait les obligations de la vie religieuse : rompre avec le monde, persévérer dans cette rupture, et puis, enfin, « tâcher d’acquérir la perfection dans la vie solitaire. »

Sur ce dernier point, il disait à peu près ceci : « Il faut croître, ma sœur, » croître spirituellement, « croître jusqu’à la mort. Un bon courage ne se peut prescrire de bornes. La générosité du Christianisme ne doit pas être moindre que l’ambition du monde : monter toujours. » Mais comment monter ? Par « la Charité, » par l’amour. Connaissez l’amour « qui opère en vous, ma sœur ; il ne demande autre chose que de retourner à sa source ; » laissez-le faire ; laissez-le emporter en haut votre âme, l’entraîner « par l’impétuosité de sa course jusqu’à tant qu’elle se soit, reposée dans le sein du Bien-Aimé. »

Ainsi ce n’était pas seulement à créer une volonté de vertu que tendait sa prédication de perfection, mais à susciter un essor de l’amour.

Ces idées frappèrent la supérieure. Quoi donc ! Une modeste religieuse, de culture peu raffinée, dans une congrégation tout active, pouvait-elle concevoir de telles ambitions, écouter ces Sursum corda, et s’abandonner à cette « impétuosité » de son cœur ?