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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/657

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Ses compagnes et elles n’ont, pourtant, guère de loisir pour la contemplation ! Elles recueillent ou attirent à elles des jeunes filles protestantes ou juives ; elles les prennent comme pensionnaires ; elles leur font l’école… Par leurs rapports soit avec les familles, soit avec les « convertisseurs, » qui recrutent leurs élèves, soit avec les autorités publiques, elles sont en contact constant, parfois même en combat, avec le « siècle. » Elles ne sont point cloitrées. « Habillées à la mode du temps, » — « robes plissées dont les plis sont rehaussés en un tas au-dessous du dos, » « mouchoirs garnis d’une espèce de fraise, » — elles ne diffèrent guère des femmes laïques de condition médiocre ; elles vont et viennent « en ville[1]. » Tout cela, est-ce que cela cadre avec les envols mystiques où M. Bossuet les convie ? Peuvent-elles sans crainte aspirer aux souveraines tendresses, aux sommets mystérieux où les saints, seuls, ont atteint ? Est-ce permis ? Est-ce possible ? Ce fut ce qu’elle demanda, de vive voix, au jeune prédicateur hardi, qui ouvrait de tels horizons.

Et alors, mis en demeure de justifier ce qu’il avait dit en chaire, Bossuet ne s’en dédit pas. Au contraire. Ecoutez plutôt :

« Il faut donc, ma chère fille, que vous désiriez ardemment d’aimer Jésus-Christ. Je suis pressé de vous écrire quelque chose touchant ce désir, dans lequel je fus occupé tout le jour d’hier. » Ainsi débute la première de ces lettres. C’est la gravité de saint François de Sales, écrivant à sainte Chantal « de la part de Dieu » et quasi comme son secrétaire… C’est l’accent inspiré de « Monsieur Olier » avouant à Marie Rousseau qu’il pense autant à fonder Dieu en elle qu’à fonder Saint-Sulpice.

Or, l’amour divin, qu’est-ce ? Un peu vague, peut-être, est la première formule venue sous sa plume : « s’abandonner sans réserve…, se donner tout entier à lui jusqu’à s’y perdre pour n’être plus qu’avec lui. » On a lu cela. Mais le vague ne sera jamais le défaut de Bossuet. Tout de suite après, combien plus de finesse ! « Désirer d’aimer, » dira l’âme pieuse, est-ce donc aimer ? Eh ! oui. « Quiconque aime Jésus-Christ commence toujours à l’aimer ; il compte pour rien tout ce qu’il a fait pour cela : c’est pourquoi il désire toujours… » « Quand l’amour aurait fait, s’il se peut, son dernier effort, c’est dans son extrémité qu’il

  1. Histoire de Metz par les Bénédictins, t. III, pp. 289-290.