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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/673

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ceux qui agissaient ainsi qu’ils allaient à l’encontre de leurs propres intérêts et de ceux du pays. Mais, si la situation actuelle s’aggravait, nous verrions les porteurs de billets s’efforcer de s’en défaire en les transformant en autres valeurs mobilières ou immobilières, denrées, marchandises non périssables, biens-fonds, maisons. C’est ce qui se produisit sous la Première Révolution : la nation entière commerçait alors, parce que la monnaie avait cessé de remplir l’une de ses fonctions essentielles, celle d’être le conservatoire de la valeur, et que chacun s’efforçait de se débarrasser d’un signe fiduciaire en l’échangeant contre des choses dont le prix monterait au fur et à mesure que l’assignat se déprécierait. Cette disposition des esprits avait une double conséquence : les marchandises, de plus en plus demandées pour servir à une fin qui n’est pas la leur, ne cessaient de monter ; les détenteurs, au lieu de les revendre, les emmagasinaient, diminuant ainsi les quantités offertes sur le marché et provoquant de ce chef une hausse additionnelle des prix.

Nous n’établissons aucun rapprochement entre le signe monétaire créé par les assemblées d’alors et celui qui nous sert aujourd’hui d’instrument d’échange. Mais il n’est que trop évident qu’il ne faut pas en abuser. Sinon on verrait de plus en plus les Français chercher à fixer la valeur de leur monnaie en l’incarnant dans des objets autres que le papier.

N’ébranlons pas la tradition qui a ancré dans nos esprits la croyance en la fixité de la monnaie. Bien que le pouvoir d’achat de celle-ci ne reste pas invariable au cours des générations qui se succèdent, les modifications qu’il éprouve en temps ordinaire sont lentes, presque insensibles, parce que la production annuelle des métaux précieux ne subit pas, en général, de variations violentes. Lorsque des circonstances extraordinaires amènent au contraire un gonflement brusque du volume monétaire, on constate un dénivellement brutal des prix.

C’est une très grave erreur que de croire que ce déplacement des prix ne présente pas d’inconvénient, sous prétexte qu’une plus grande quantité de monnaie étant mise à la disposition de la communauté, celle-ci peut supporter. la majoration du coût des denrées et des services. Les salariés de tout ordre ont beau réclamer une rémunération plus élevée : cette élévation ne saurait être obtenue immédiatement ni surtout suivre une marche rigoureusement parallèle à celle des prix des objets