Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/688

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entre le talent transcendant et les travaux très ordinaires d’un conservateur éclairé. » C’est le bon sens même. La Commission des arts eut très souvent des idées justes. Et, en définitive, c’était mieux qu’une idée juste, c’était une idée admirable, héroïque même, d’inscrire en son programme, à cette époque de fureur déchaînée, ce mot si bon, si utile et si démodé, malheureusement, de conservateur.

On devine que néanmoins ces conservateurs ont commis plus d’une faute et quelquefois agi tout de même que des vandales. Leurs intentions excellentes ne les dispensaient pas d’être de leur temps et de participer à la toquade universelle. Leur beau rêve serait de « concilier l’intérêt de la République avec la conservation des objets d’art. » Et l’on dirait que c’est facile : ce ne l’est pas. Un jour, l’un des commissaires demande ce qu’on fera de « quelques portraits de personnages proscrits ; » on a trouvé ces portraits dans la maison de l’émigré Juigné : ces portraits seront livrés aux flammes et le comité révolutionnaire de la section dite de l’Unité est chargé du brûlement. Un autre jour, les administrateurs de Port-Brieuc, ci-devant Saint-Brieuc, déclarent qu’ils ont inventorié des tableaux, des croix, des saints, la décoration des ci-devant églises : le tout va servir à la cuite du salpêtre, la République ayant besoin de salpêtre, et non pas d’églises. Un autre jour encore, le secrétaire greffier de la commune adresse à la commission deux médaillons de bronze, l’un qui représente le traître La Fayette et, le second, le traître Bailly : les deux médaillons tout aussitôt sont mutilés, brisés, et les fragments envoyés à la fonte. Le 13 juin 1794, la Commission décide que tous les tableaux et portraits « représentant des individus de la race Capet » seront prochainement réunis dans un même dépôt : alors, on fera leur destruction totale et complète, « afin que la superstition royaliste ne puisse en recueillir un seul. » Un membre, et c’est dommage qu’on ne sache pas le nom de ce garçon, fait observer que ces tableaux ou portraits pourraient, en y regardant bien, « contenir des traits de génie et d’originalité qu’il serait utile de conserver pour l’instruction et les arts : » qu’en dites-vous ? La commission, « ferme dans ses principes patriotiques, maintient son arrêté. » La commission, ce 13 juin 1794, avait oublié ses principes conservateurs.

Elle les oubliait de temps en temps. Mais d’habitude elle les appliquait aussi bien que possible et voire avec un louable entêtement. Elle avait à lutter contre les furieux, contre les imbéciles, contre les ignorants : et elle ne se décourageait pas. Elle présidait à