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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/694

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ornent encore cet édifice ancien. » Les partisans de ce bourreau des Grands-Carmes, ayant trouvé, dans la maison d’un condamné, une momie d’Egypte, la brisèrent en mille pièces. Pourquoi ? Ils avaient pris cette momie égyptienne, hélas ! pour de saintes reliques !

A Salins, les officiers municipaux avaient décroché tous les tableaux d’églises et ils les faisaient laver, lessiver jusqu’à ce que disparût la couleur, toute la couleur. Que voulaient-ils ? De la toile !... Le district de Rouen ne rédigea pas son inventaire et, tout simplement, fit savoir qu’el ne possédait rien. La Commission des arts, un peu surprise, envoya le citoyen Beljambe chercher là-bas la vérité. Il écrivit bientôt à ses collègues : « J’ai presque ri de la naïveté avec laquelle l’agent du district déclare qu’il n’y a dans cette commune aucuns objets d’arts ni de sciences ; je ne soupçonne pas sa mauvaise foi : je le crois ignorant. » Et Beljambe énumère ce qu’il a vu à la cathédrale, à Saint-Ouen, aux Capucins, à l’Oratoire, aux Augustins, ailleurs encore. Ce qui l’a le plus séduit, c’est, au Palais de justice, un « vigoureux » plafond de Jouvenet. « Ce morceau, dit-il, est très recommandable, non seulement par la fierté de son exécution, mais par l’anecdote dont il est l’objet. » L’anecdote, la voici. A la moitié de son ouvrage, le peintre eut la main droite paralysée : de la main gauche, il continua de peindre. Conclusion de Beljambe : « La ci-devant province de Normandie contient un très grand nombre d’abbayes, de couvents, châteaux, où il y aurait une immense récolte à faire. » Tout ignorant qu’il fût ou qu’il pût être, l’agent du district ne devait pas ignorer cela, que Beljambe a si promptement aperçu. Peut-être ce matin Normand s’est-il moqué de la Commission des arts, s’est-il méfié de la « récolte » qu’on ferait dans son pays ; peut-être ce bonhomme, dont la naïveté, sincère ou non, réveille la gaieté de Beljambe, a-t-il été, en cette affaire, le seul « conservateur » authentique : on n’en sait rien.

La Commission des arts, telle que nous la voyons travailler, fit constamment de grands efforts pour sauver l’art de la France et pour supprimer la fureur du vandalisme révolutionnaire. Elle n’épargnait point sa peine ; en somme, elle a obtenu quelques résultats et elle a répandu de bonnes idées. Elle disait : « Il est digne d’une nation libre et triomphante de joindre à cette intrépidité qui renverse et détruit, la bienveillance active qui encourage et conserve, et de jeter au milieu du tumulte de la guerre un regard consolateur sur les arts dont le génie doit éterniser le souvenir de nos victoires. « Seulement, l’amour des arts et le goût de conserver le passé ne sont pas des sentiments