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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/695

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que l’on enseigne aux foules agitées. Puis les foules étaient menées, le plus souvent, par des furieux. Enfin, les âmes étaient dans le pire désordre, où elles ne retrouvaient plus leurs habitudes, leur meilleur usage et leur ancienne éducation.

Cette espèce d’absurdité qui tourmentait à peu près tout le monde se voit dans un épisode auquel la Commission des arts fut mêlée. Le 22 septembre 1793, « on parle, dit le procès-verbal, du corps de Turenne et on arrête qu’il sera conservé. » Le corps de Turenne était à Saint-Denis : on détruisait la plupart des monuments de la basilique ; mais on avait, pour Turenne, un peu d’aménité. Bref, le corps de Turenne sera conservé : où et comment ? Voilà ce qu’on eut décidé le 25 novembre : « Le citoyen Thillaye est chargé de recueillir la momie de Turenne qui est encore dans la ci-devant église de Saint-Denis. Il la fera transporter au Muséum avec les autres morceaux qui méritent d’être conservés. » C’est joliment dit, n’est-ce pas ? Et le corps de Turenne sera traité comme un objet d’art ? Mais non : comme un objet d’enseignement ! Il s’agissait de savoir, au Muséum, par quels procédés ingénieux et dignes de curiosité scientifique ce cadavre du maréchal avait été momifié. Le projet semble avoir étonné diverses personnes, si bien que l’on s’adressa au ministre de l’intérieur, qui répondit : « Je ne crois pas que je puisse, quoique sous le nippon de l’instruction, autoriser le dépôt au Muséum d’un corps ainsi exhumé. » Il a raison ; mais son argument prête à rire, ou à pleurer : « L’art des embaumements, qui pouvait intéresser l’orgueil des rois, n’occupera point des républicains, qui ne sont jaloux de transmettre à la postérité que leurs vertus. » Cependant Thillaye n’avait pas attendu la réponse du ministre et, fier de son activité, il avait exhumé Turenne, il l’avait porté au Muséum : il dut le rapporter à Saint-Denis, les premiers jours de décembre 1793. La Commission fut assez mortifiée ; elle garda son intention, secrètement. L’année suivante, au mois, de novembre, « . Jolain, expert, fut par elle autorisé à transporter au Muséum d’histoire naturelle la momie de Turenne. » Don Quichotte, quand il s’est fait un beau sabre de bois, l’essaye contre un rocher : le sabre se casse. Don Quichotte s’en fait un autre et, cette fois, néglige avec soin de l’essayer. Semblablement, la Commission négligea, cette fois, de consulter le ministre. Le 20 novembre, Thillaye fut « invité à surveiller le transport de la momie de Turenne à Paris » c’est la troisième fois que Turenne voyage avec ce Thillaye imprévu. Le 30 novembre, Thillaye « dépose le récépissé de