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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/709

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La Victoire, en chantant, peut maintenant apparaître sans risquer de raviver par l’éclat de ses fanfares l’intime blessure des cœurs affligés. Les trois couleurs sont hissées au sommet de l’Arc de Triomphe, dans un ciel bleu dont la limpidité rayonnante fait vibrer l’azur, l’argent et la pourpre de notre drapeau. On voit briller au-dessus de la haute corniche le jaillissement d’une fusée. Le canon tonne. C’est le signal du défilé. On a voulu qu’après les morts, la première place fût donnée aux grands blessés, aux mutilés, à des hommes qui, pendant toute leur vie, conserveront dans leur chair crucifiée les stigmates du douloureux calvaire qu’ils ont noblement gravi. Un colonel aveugle marche en avant, soutenu et guidé par deux simples soldats, ses camarades de combat et ses rivaux de gloire. D’autres viennent ensuite, beaucoup d’autres... Combien ? On ne sait. Un millier, peut-être. Ce n’est qu’une « délégation » des mutilés de France, si nombreux, hélas ! que la journée entière ne suffirait pas à les faire passer tous sous l’Arc de Triomphe.

Les trompettes de la garde annoncent les maréchaux de France, que précède un escadron de magnifiques cavaliers en casques chevelus, sabre au clair. Le maréchal Foch, commandant en chef des armées alliées, apparaît, sous la voussure de la porte de gloire. Le grand capitaine à qui nous devons la libération de notre territoire envahi, conserve, pour ce beau jour, la simplicité de la tenue de campagne. Tel il était, l’an dernier, à pareille époque, au moment où il préparait en son quartier général les opérations décisives et foudroyantes, tel il nous apparaît, aujourd’hui, dans le décor d’histoire et de légende, où rayonne, comme éclairée en dedans par le reflet intérieur d’une grande âme, sa figure empreinte d’une mâle résolution et d’une sereine gravité. Il s’avance au pas de sa monture, déjà pareil, dans l’immortalité commençante, à une statue équestre. Auprès de lui chevauche l’autre grand chef, celui qui a écrit, à force de circonspection intrépide, les premiers chapitres de l’épopée dont voici la définitive conclusion. Le maréchal Joffre a mérité, lui aussi, les honneurs du triomphe. Il est celui qui, par la première victoire de la Marne, arrêta les Allemands en marche sur Paris.

Tous deux, ces grands chefs dont Plutarque eût aimé à raconter les vies parallèles dans sa biographie des hommes illustres, tous deux, réunis par une émouvante fraternité d’armes, acclamés ensemble par l’unanimité de la reconnaissance publique, ils représentent la diversité harmonieuse des vertus françaises, la ténacité unie à la fougue, l’élan joint à la patience, l’action rapide qui achève et