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« d’après guerre » doit prendre un autre personnage. Le temps qu’il mettra à se transformer nous donnera quelque répit. Le professeur allemand souffrira, le militaire allemand, le bureaucrate et tout ce qui a dirigé l’Allemagne souffrira. Ils ont été de mauvais bergers, ils souffriront de la détresse du troupeau. Mais, surtout, le marchand souffrira.

La leçon la plus forte que l’Allemand ait reçue, ce n’est pas la défaite (il n’y croit qu’à moitié), c’est le sentiment qu’il a de la haine universelle. Cette hostilité qui le surveille, cette odeur où il sait qu’on le reconnaît et qui l’isole, il s’en rend compte pour la première fois. La barrière morale tendue ainsi autour de lui, comme une quarantaine, constitue une très sérieuse garantie. L’Univers est en garde, il ne se laissera plus prendre à certaines « camaraderies. » La justice n’est pas seulement forte ; elle est jalouse ; son flambeau suivra longtemps le coupable.

Qui donc, demain, se souviendra, avec fierté, du temps de Guillaume II ? Qui donc plastronnera comme il a plastronné ? Qui donc se vantera des revues casquées d’or, des manteaux à la Lohengrin, des défilés au pas de parade, des « Allemagne au-dessus de tout, » et des statues de bois clouées de fer ? Dieux ! comme tout cela est vieux, renfoncé dans le passé des Burgraves et du Walhalla !

Les journaux ont raconté que le gouvernement provisoire allemand avait mis la main sur la garde robe de l’Empereur Guillaume, se composant de 494 uniformes variés : ces uniformes sont à la défroque. Défroque aussi le « gantelet de fer, » « la poudre sèche, » « l’épée aiguisée. » Burgraves, « l’inoubliable aïeul » et le « bon vieux Dieu ! » Certains axiomes paraissent maintenant contestables, par exemple : « Sûre est la paix qui repose derrière le bouclier et sous l’épée du Michel Allemand (discours de Guillaume II aux Brandebourgeois, 3 fév. 1899). — Ou bien : « Le militarisme allemand représente, en fait, le suprême degré de l’évolution accomplie jusqu’à ce jour par la civilisation » (Ostwald). Un Kuhlmann n’écrirait plus (ce qu’il pense, d’ailleurs, toujours) : « J’ai mené une lutte à mort contre les principes. Ils sont justifiés en morale, non en politique. Ici, il s’agit du but à atteindre, non des moyens. »

La victoire des Puissances et le triomphe de la justice, les rédacteurs du traité les ont consacrés dans les faits en détachant de l’Allemagne-prussienne les pays à nationalité non-germanique