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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/762

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nettement caractérisée, l’Alsace-Lorraine, le Sleswig, la Pologne, la Haute-Silésie (sauf plébiscite) et enfin les colonies allemandes. Ainsi les bordures stratégiques, les glacis protecteurs dont la conquête germano-prussienne s’étaient entourés sont tombés.

Le retour de l’Alsace-Lorraine à la mère-patrie n’est pas seulement une haute leçon de justice et une satisfaction pour la conscience humaine, c’est un retour à l’équilibre dans l’aménagement général de l’Europe. Il s’en faut de beaucoup que la France y fût seule intéressée. L’aptitude née de ces peuples est de servir à l’union. En France, ils apaisent ; en Allemagne, ils irritent : l’expérience est faite. L’Allemagne elle-même le sait ; elle avouera, tôt ou tard, que cette œuvre de justice sert à sa propre libération et à son relèvement.

Une telle consécration est une récompense et une justification pour les peuples fermes, à conscience fidèle et forte. Et c’est une satisfaction incomparable pour l’âge qui, ayant subi le désastre, voit s’accomplir la réparation. Pendant un demi-siècle, tous les Français n’ont eu qu’une pensée : ils ont attendu et préparé l’heure de la « justice immanente. » Cette foi indomptable, ce patriotisme persévérant furent de tous. Le silence même était force. Historiquement, la réincorporation justifie la parole de M. Thiers, historien en même temps qu’homme d’État : « Gardons nos ressources et notre volonté : quant à la terre, elle se reprend. »

Pour le bassin de la Sarre, une espèce de bail charbonnier d’une durée de quinze années apporte, à la revendication d’une frontière française, une solution bâtarde et lui donne un aspect mercantile assez inattendu. C’est le mot de Louis XV retourné : « Je ne traite pas en marchand, mais en roi. »

C’est vrai, l’Allemagne est écartée, militairement, de la rive gauche du Rhin et même éloignée de cinquante kilomètres sur la rive droite. Elle ne peut prendre aucune mesure offensive ou défensive dans cette région. Précaution, mais non garantie. L’Allemagne, unie et forte, avec ses 70 millions d’habitants, pourra tout de même, dans quelques années, franchir le Rhin et déboucher au cœur de la France, de même qu’elle l’a fait en 1870 et en 1914, sans rencontrer, avant nos anciennes frontières, d’obstacle militaire. Perspective bien inquiétante ! On a attribué à Kuhlmann ce mot : « Avant quelques années,