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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/763

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nous serons à Paris dans un » situation très confortable, »

Ces clauses dissimulent mal l’erreur la plus grave du grand acte international (du moment où l’Allemagne bismarckienne restait debout) : on a dénié à la France les garanties stratégiques réclamées par ses chefs militaires ! J’ai dit, ailleurs, comment, à mon avis, la rive gauche du Rhin, arrachée au Congrès de Vienne par un véritable chantage diplomatique, devait être détachée de la Prusse et j’ai rappelé comment la nature et l’histoire traçaient comme limite entre la France et la Germanie, le fleuve Rhin ou, tout au moins, les fameuses lignes de Kaiserslautern. L’Allemagne, restant unie au milieu de l’Europe détruite, toutes les précautions devaient être prises ; il fallait supprimer la forteresse agressive que s’étaient attribuée, en vue de nouveaux méfaits, les conquérants de Berlin. On ne l’a pas voulu ; un calcul à longue portée et un travail souterrain l’ont empêché... Je ne doute pas, quant à moi, que — les dernières fumées de la bataille une fois dissipées, — l’histoire ne reprenne son cours.


Limitées à la séparation des bordures ethniques non germaniques et à un désarmement partiel, les décisions du traité n’en représentent pas moins, pour l’Allemagne, un grave affaiblissement. Le Reich, privé des conquêtes savamment combinées pour le « couvrir, » s’appauvrit de leur séparation, il s’était habitué à exploiter ces terres et ces populations, à terroriser et à coloniser ces marches. Une œuvre séculaire d’anéantissement des races locales était combinée par les lois, l’administration, le maniement des esprits et des mœurs. On avait déterminé les têtes de ligne et les voies de pénétration en vue d’une exploitation économique à longue échéance : en Pologne, en Alsace-Lorraine le plan abominable se découvrait au grand jour. On avait sondé (parfois sans le dire) ces richesses adventices pour les exploiter savamment. Tout était préparé pour satisfaire les convoitises d’un maigre pays par la main-mise sur ces sols féconds. L’Allemagne, qui condense volontiers ses appétits en maximes, réalisait la formule de ses philosophes : « La vie est un agrandissement d’espace. »

Il faut, maintenant, renoncer à ce commerce ; le corsaire perd ses esclaves, le féodal ses serfs ; il doit songer à vivre sur lui-même, au lieu de le faire aux dépens des autres.