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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/782

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nous touche bien un peu. Pense-t-on que des phrases embarrassées et des consécrations inopérantes suffiront pour régler ce qu’il y a d’européen dans le problème slave ? Vous êtes las ? Oui. Mais la destinée ne se lasse pas. Ce serait trop beau si le malheur se reposait un seul jour.

La dénivellation que la rupture du bloc russe a produite au centre de l’Europe peut amener le glissement du système fondé par le traité de paix si les trois Puissances ne se calent pas vigoureusement les unes les autres. Le traité d’alliance ne vise que l’agression « non provoquée » de l’Allemagne : mais elle a tant de façons de se produire !.. Gare à la Russie !

Aux bords de l’abime russe, le traité du 28 juin a mis une rampe, un garde-fou, c’est la Pologne restaurée. En réparant « le plus grand crime de l’histoire, » les Puissances alliées ont manifesté avec éclat la haute et lointaine portée de leur action. Elles ont été véritablement créatrices. Mais, justement parce qu’elles ont voulu cela, et de grand cœur, elles ont, maintenant, à protéger cette enfance contre les voisins ambitieux qui voudraient bien l’étouffer dès le berceau. L’Allemagne est en état d’agression permanente surtout de ce côté : c’est peut-être la partie de sa défaite qui lui est le plus pénible. La Prusse a reçu une flèche en plein cœur. Les conquêtes de Bismarck, passe : mais celles de Frédéric II ! A la première défaillance de l’alliance, le monde de ce côté penchera. On peut dire que le respect de l’autonomie polonaise sera l’étiage de la fidélité de l’Allemagne à ses engagements.

On sera bien obligé d’étendre ce réseau de précautions aux petits États européens qui ont vaincu avec nous. Car, enfin, ils constituent l’Europe, maintenant. Par l’effet du traité, l’Allemagne reste debout, géante, au milieu d’une poussière de peuples. Ceux qu’aux temps déjà lointains des séances de la Conférence, on qualifiait de « pays aux intérêts limités, » ne limitent pas à leur gré les périls qu’ils courent. La Grèce, la Roumanie, la Serbie ont lutté avec un courage héroïque contre l’hégémonie allemande et austro-hongroise : ce serait une singulière conception des solidarités de l’histoire de les laisser dans le marais après les avoir appelés à l’aide pour sortir du bourbier. Une Roumanie forte est un besoin formel de l’Europe. Une organisation sérieuse de l’alliance est nécessaire sur la Mer-Noire, dans l’Orient balkanique. Puisque, en face de cette