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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/785

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sera dirigée par quelques savantes combinaisons machiavéliques, mais parce qu’elle se développera selon un instinct populaire, fait d’équité et de désintéressement.

Si l’on veut se rendre compte de la façon dont ces dons naturels à la France opèrent, j’évoquerai l’attitude de notre opinion en face du problème russe. Dans la ruine de la Russie, des milliards français paraissent, pour le moment du moins, en péril. Cette dette était l’épargne et l’avoir du plus grand nombre et même des plus pauvres. Entend-on des plaintes, des voix s’élever ? Ces « capitalistes » tant foulés (qui sont, pourtant, des électeurs), font-ils, de leur perte, un objet de revendication ? Mettent-ils les gouvernements en demeure ? Incriminent-ils la politique des Puissances qui les laisse, sans réconfort, dans leur misère ? Non ; ils se taisent, ils attendent. Ils savent que le problème est plus haut et ils se disent que, si la Russie est sauvée, le reste viendra par surcroît. La France a à cœur le sort des populations slaves, parce qu’elle a reconnu en elles une force de contrepoids et d’équilibre. Telle est sa véritable pensée, non de lucre, mais de politique. Au temps où on fondait l’alliance, elle sentait, pensait et agissait pour ce motif universel : elle répandait son or pour travailler, d’avance, au salut de l’Europe ; et elle y travaillait, en effet, efficacement. Pour ces mêmes raisons, il ne plairait pas à la France que les populations slaves oublient, mais, moins encore, qu’on les oubliât. Elle sait que les violences révolutionnaires n’ont qu’un temps et qu’entre amis, on se retrouve. Elle donnera donc tout ce qu’elle pourra donner de son temps, de sa peine et de son or (s’il lui en revient) pour le salut de l’équilibre européen par le contre-poids slave. Elle sait que, malgré tout, le calvaire russe a servi à notre rédemption.

Il en est de même pour les relations avec l’Italie. Quand le traité décidant du sort de l’Autriche sera signé, la quatrième grande Puissance, l’Italie, entrera, sans doute, dans l’alliance. Si on ne lui faisait pas place, on commettrait une faute énorme. Car, sans l’Italie, l’Europe est tragiquement amputée. Dans le midi européen et sur les ruines de l’Empire austro-hongrois, l’Italie est la gardienne-née de la civilisation. Les deux sœurs latines enserrent le germanisme ; mais le cercle n’est complet, vers l’Occident, que si leur union l’achève. La faute qui les séparerait serait si lourde qu’il n’est pas possible qu’elle soit commise :