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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/790

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Une telle aspiration parut alors prématurée. Le président Wilson a dit, en décembre 1918 : « Au début de cette guerre, l’idée d’une Ligue des Nations était considérée avec une certaine indulgence comme venant des savants renfermés dans leur cabinet de travail. On en parlait comme d’une de ces choses qu’on devait classer dans une catégorie que moi, ancien universitaire, j’ai toujours trouvée irritante : on l’appelait académique, comme si c’était une condamnation signifiant quelque chose à quoi l’on doit toujours penser mais qu’on ne peut jamais atteindre... »


L’opinion et les gouvernements au sujet de la Société des Nations. — Mais les partisans de la Société des Nations reçurent un concours, imprévu dans ces proportions, et vraiment formidable du courant de l’opinion. Le mot prononcé, les écluses s’ouvrirent. Auprès de l’opinion, en effet, le système avait son suprême recours : celle-ci avait parfaitement saisi que c’était de sa cause qu’il s’agissait. Après la faillite de la politique bismarckienne et du pouvoir autocratique, les démocraties entendaient faire leurs affaires elles-mêmes.

Je résume les raisons du mouvement qui emporta tout :

D’abord, une lame de fond : la vieille plainte de l’humanité au sujet de la guerre ; le sentiment que cette guerre-ci avait été trop cruelle pour ne pas être la dernière. Grâce à la publicité moderne et à l’inquisition pénétrante de la presse, on avait découvert immédiatement l’origine du mal, à savoir le complot avéré de certains gouvernements traqués dans leurs privilèges, préparant sournoisement la catastrophe et déchaînant la mort pour vivre. L’heure était venue de projeter la lumière sur les coins obscurs, pour que de pareilles horreurs ne se renouvelassent pas.

On avait aussi un sentiment très net : celui de la faiblesse de chaque nation quand elle n’a d’autres armes que le juste. Avec les moyens d’agression modernes, un bandit déterminé peut surprendre et ligoter sa victime, avant qu’elle ait eu le temps de se mettre debout et de saisir ses armes. Contre le tigre en chasse et qui rôde, il n’y a qu’une force, l’union. La civilisation et la paix appartiennent à tous : à tous il appartient de les défendre.

En troisième lieu, un grand progrès était déjà acquis dans