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il faut, pour savoir quelles difficultés furent vaincues par tel ou au contraire aplanies devant lui, connaître mieux que nous ne le pouvons aujourd’hui, les desseins conçus, les ordres reçus, les fautes commises, les sentiments éprouvés de l’autre côté de la barricade : pour raconter une bataille, il faut savoir où en étaient, à tel et tel moment de la lutte, les nerfs, les muscles et le cœur des deux lutteurs. On ne peut avoir sur l’ennemi, — ou peu s’en faut, — pour l’heure, que des renseignements. Avant d’écrire l’histoire de la mêlée, il faudra qu’on ait remplacé ces renseignements par des précisions.

Mais la bataille de 1918 ne fut pas une mêlée confuse. De grands stratèges, de part et d’autre, la dirigèrent. De grandes pensées s’y appliquèrent. De grands desseins tentèrent de se réaliser. Vue de haut, la lutte prend bien promptement l’aspect d’un duel très serré entre deux armées, deux états-majors, deux chefs : duel savant où l’on ne rompit souvent que pour mieux parer, où l’on se tâta longtemps pour se toucher à l’endroit sensible, où la feinte prépara la botte et où, soudain, l’on vit l’un des maîtres, par une série ininterrompue d’assauts, acculer l’autre et le tenir sous le poignard de miséricorde. A travers cette forêt de fusils, de mitrailleuses, de canons, on sent deux lames qui se croisent. Et ce sont simplement les phases de ce duel que l’on peut essayer de reconstituer. Parlons bref : il ne s’agit que de dégager les grandes lignes de la bataille. Un historien doit jusqu’à nouvel ordre s’interdire tout autre dessein parce qu’il n’y a présentement que les grandes lignes qui puissent se tracer sans crainte d’erreur.

En ces grandes passes, ce qui, dans la main du grand chef, constitue par excellence l’instrument, c’est l’unité Armée. Lorsqu’essayant de reconstituer la bataille de la Marne de 1914, je ne prétendais déjà en établir que les grandes lignes, ce sont les Armées que j’ai presque exclusivement voulu voir manœuvrer. Sous un Joffre, un Galliéni, un Maunoury, un French, un Franchet d’Esperey, un Foch, un Langle de Cary, un Sarrail sont les seuls acteurs que j’aie entendu mettre en scène. Il en sera de même aujourd’hui. Seulement ce ne sont plus six armées qui, de notre côté, sont engagées, mais quatorze ; le théâtre ne tient plus entre Sentis et Verdun, il s’étend à toute la France du Nord-Est, de la Mer à la Meuse ; l’action n’a pas duré six jours, mais sept mois. Et même en se