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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/811

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la parade stratégique par les plus angoissantes préoccupations, en revanche, la forme enveloppante du front leur permettait éventuellement contre l’ennemi ébranlé, chassé de ses lignes récentes ou anciennes, la plus belle manœuvre que stratège eût eu à concevoir et à mener à bien ; car maîtres des couloirs convergents de l’Escaut, de l’Oise, de la Meuse et de la Moselle, ils pouvaient, en y engageant leurs armées, ramener l’ennemi à ce massif d’Ardennes qu’il ne pourrait alors défendre qu’au risque d’un effroyable désastre. Il fallait, pour que ce rêve, caressé depuis 1914, se réalisât, que le grand chef, audacieux et averti tout à la fois, se trouvât dans l’heure même où le renversement des situations lui permettrait d’utiliser jusqu’à leur extrême rendement forces nouvelles et nouveaux moyens.


III. — LES ADVERSAIRES

Forces et moyens semblaient, dans les premiers jours de 1918, incontestablement supérieurs du côté de notre adversaire. Un événement, d’une incalculable portée, venait de se produire, qui l’autorisait à reporter sur le front occidental la presque totalité de ses forces combattantes et de son redoutable matériel. Le 20 décembre 1917, avait été signé, à Brest-Litovsk, entre les représentants de la Révolution russe et ceux de l’Empire allemand, un armistice qui, le 9 février, s’allait transformer en traité de paix. Notre première alliée nous abandonnait. Sans attendre que la Russie rouge, — d’ailleurs précédée par l’Ukraine elle-même, — capitulât à Brest-Litovsk, l’Allemagne avait commencé à transférer sur le front de France ses divisions de Russie ; les premiers transports s’étaient faits en novembre. Ils se précipitèrent en décembre et janvier ; en février, plus de la moitié de l’armée allemande de Russie avait rallié le front occidental. De novembre 1917 à avril 1918, 64 divisions allaient ainsi venir grossir l’armée impériale de France déjà forte de 141 divisions. De ce fait, la supériorité numérique passait à nos ennemis sur les forces alliées qui à ces 205 divisions n’en pouvaient opposer que 177. Par ailleurs, toutes les ressources matérielles accumulées sur le front de Russie allaient, transportées sur le nôtre, augmenter l’effet déjà redoutable de ce nouvel afflux de forces.

L’armée française supportait depuis trois ans et demi le