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poids principal de la guerre ; ses pertes avaient été immenses ; il devenait difficile de les réparer, et la crise des cadres aggravait celle des effectifs. Nous comptions 99 divisions sur le front, mais ce front à défendre était de 560 kilomètres. L’armée britannique venait de s’user en partie dans la pénible bataille des Flandres de 1917 ; elle occupait avec 60 divisions (dont deux portugaises), un front de 200 kilomètres. Douze divisions belges en tenaient un de 8 lieues.

Depuis quelques mois, à la vérité, les armées alliées se grossissaient de régiments américains. A l’heure où la révolution, se déchaînant à Petrograd, allait avoir pour conséquence presque immédiate l’affaissement du front russe, nous avions acquis un nouvel allié ; les États-Unis, après tant d’hésitations, s’étaient, le 3 février 1917, décidés à entrer dans la lice à nos côtés. Le 12 juin 1917, le général Pershing avait débarqué en France avec quelques régiments et, depuis cette date, chaque semaine, les bateaux de l’Union déversaient sur notre sol personnel et matériel. A la veille de l’attaque allemande, quatre divisions étaient en France et l’on pouvait prévoir que, les transports s’accélérant, une armée américaine forte d’un million d’hommes serait, avant l’hiver de 1918-1919, engagée dans les combats. Mais en serait-on encore à se battre dans l’hiver de 1918-1919 ?

L’Allemagne ne le pensait point. Elle était en droit d’envisager l’année 1918 comme la plus favorable à une action heureusement décisive. Les Russes nous abandonnaient ; les Américains à peine arrivaient. L’Allemagne a toujours eu une tendance à sous-estimer l’adversaire : outre qu’elle pensait troubler par les attaques de ses sous-marins les « arrivages de Yankees, » ceux-ci ne constitueraient point, matériellement parlant, avant l’été de 1918, un appoint sérieux, et cet appoint resterait longtemps de qualité inférieure : elle accueillait par des ricanements ces bataillons de « marchands de porc salé » qui osaient se venir mesurer avec l’ » incomparable Feldgrau. » En fait, elle était autorisée à tenir l’aide américaine pour négligeable, — militairement parlant, — avant l’automne 1918. Or elle pensait en avoir alors fini depuis longtemps.

L’infériorité du nombre semblait lui livrer l’adversaire.