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ses anciens chefs, camarades et élèves, désigné comme devant jouer dans la guerre future un rôle éminent. La politique l’avait retardé, mais n’avait pu longtemps prévaloir contre une autorité peu discutable. Lorsque, le 20 août 1913, il avait reçu le commandement du 20e corps, à Nancy, chacun s’était senti rassuré à savoir à la place qu’il fallait, l’homme qu’il fallait. Beaucoup déjà l’eussent dès cette heure placé plus haut. Les circonstances allaient l’y porter.

Ce n’était cependant pas un pontife que ce maître : disons mieux, il en était franchement l’opposé. Ce qui a toujours frappé ceux qui l’ont approché, c’est cette rondeur ironique dont s’enveloppe une volonté de fer. Ce Pyrénéen n’a gardé du Midi, — car il n’est point parleur, — qu’une finesse mordante qui a résisté aux heures les plus assombrissantes ; il accueillera les grands revers de la guerre avec cette tranquillité d’esprit, avec ce même sourire narquois et ce plissement des paupières dont jadis il saluait ses propres disgrâces et où tient le vers du fabuliste « Mais attendons la fini » Il ne se frappe point, pas plus qu’il ne s’emballe, — force est d’employer les mots familiers pour peindre un homme si peu solennel ; mais s’il ne se frappe ni ne s’emballe, ce n’est point philosophie, c’est foi dans des principes mûrement acquis. Il a des principes ; il en a fait un livre ; ils sont fermes, clairs, assis ; assis sur quoi ? Sur le bon sens et la culture.

C’est une intelligence acérée ; je ne crois point qu’il y ait chez lui excès d’imagination, mais un magnifique sens critique, — dans l’acception la plus féconde du mot ; — car plus qu’homme du monde, il sait apercevoir dans les plans qu’on lui propose le meilleur, c’est-à-dire en apparence le plus simple ; c’est qu’à ses yeux, comme à ceux de son grand maître, Napoléon, la stratégie est « art simple et tout d’exécution ; » « affaire de bon sens, » dit Foch. L’important est que le bon sens soit garé de toute défaillance par le sang-froid. Or, s’il a le sang chaud en son privé, il possède sur le champ de bataille un parfait sang-froid. Au surplus, ce champ de bataille, il le considère comme le principal conseiller ; il écrit quelque part : « Le commandement… illuminé par la vite du champ de bataille. » Il n’est pas de champ de bataille, si étendu qu’il fût, qui ne l’ait ainsi « illuminé. » Mais il est « illuminé » sans être un instant aveuglé par cette forte lumière. Il garde à travers les grandes crises