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par toute instruction du général Foch. » Ces dernières précautions ne pouvaient diminuer sensiblement l’importance de l’acte qui venait de compléter le geste de Doullens.

Et puisque de la terrible épreuve que venait de traverser l’Entente, l’unité de commandement était née, on peut dire que nous n’avions pas payé trop cher un tel résultat. Les bénéfices qui, sous peu, en sortiraient pour les armées alliées et qui iraient en se magnifiant, devaient justifier amplement ceux qui allaient disant : « A quelque chose malheur a été bon. »

Les armées de l’Entente avaient désormais un chef et, quelles épreuves qu’elles dussent connaître encore, elles étaient assurées d’être, dans les mauvais comme dans les beaux jours, conduites. Ludendorff trouvait un adversaire — et de taille.

Je vis à cette époque le général Foch à Beauvais : dans la salle de l’Hôtel de Ville où il était plus campé qu’installé, ce n’était certes pas le mouvement qu’on pouvait s’attendre à trouver autour d’un chef de cette importance. Une poignée d’officiers travaillaient silencieusement sous la direction du général Weygand, — le fidèle chef d’état-major qui, du Grand-Couronné de Nancy, avait partout suivi le Grand Soldat, l’avait de façon précieuse secondé et qui était accouru reprendre près de lui son rôle de bras droit. Aucun apparat : le moindre colonel allemand eût fait dix fois plus de tapage. Le général lui-même, je le retrouvai tel que je l’avais toujours vu, dans sa tenue gris-bleu, roulant sur ses jambes un peu courtes et fortement arquées par l’équitation, sa forte tête aux cheveux courts sabrée de rides et bronzée par la guerre, le regard clair, parfois malicieux sous les paupières plissées, la rude moustache grisonnante jaunie par le tabac et cette bouche qui peut prendre en quelques minutes tant d’expressions diverses, de la plus mâle vigueur à l’ironique bonhomie. Son geste restait prodigieusement prompt, prodigieusement expressif ; sa main, comme à l’ordinaire, tranchait sa propre phrase ou suppléait au propos. Je le trouvai calme et, à sa coutume, un peu narquois, sans aucune morgue. Il me mena à la carte où, en teintes diverses, s’écrivait l’histoire de la bataille finissante. Il m’en expliqua les phases. Et puis : « Voilà ! C’est le passé ! De quoi s’agissait-il ? Arrêter à tout prix. » Et il fit le geste des bras qui s’écartent lentement : soudain la poche se creusa à mes yeux.