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quittés presque sans adieu, vers les innombrables Belges emprisonnés, martyrisés, voire fusillés, à cause de leur fidélité au drapeau. Et voici que ma présence dans cette cellule, et ces barreaux étroits, et ces bardes crasseuses, et ce cadre sinistre qui sera désormais celui de ma vie, tout cela prend un sens. Tout cela, c’est la résistance belge, c’est notre protestation constamment maintenue, sans cesse renouvelée contre le crime de l’Allemagne, violatrice de notre droit. Tout cela, c’est notre faiblesse, mais c’est aussi notre grandeur et notre force. Chaque nouvel attentat de notre ennemie, chaque nouvelle proscription vient accroître le patrimoine de haine voué par notre pays à la barbarie teutonne. Chaque nouvel acte de résistance d’un Belge encourage d’autres Belges à faire preuve de la même résistance. L’emprisonnement est devenu la meilleure des propagandes anti-allemandes. « Nous sommes les belligérants de l’intérieur, » me disait un jour l’illustre cardinal Mercier, définissant, avec l’autorité qui s’attache à sa parole, le rôle des Belges restés au pays pendant la guerre. Dès lors, nous, les hôtes des prisons allemandes, les victimes du bon combat mené de ce côté du front, ne bénéficions-nous pas un peu des mêmes mérites que nos soldats faits prisonniers sur le champ de bataille ? Et si notre sacrifice, à la différence du leur, est imposé de vive force et, le plus souvent, sans gloire, ne participe-t-il pas, du moins, de cette vertu expiatrice qui est dans toute souffrance généreusement acceptée ?


Mes deux premières journées ont été coupées par diverses formalités. Inscriptions multiples au secrétariat, où siège un forçat belge, chargé de la comptabilité de la maison. Ce dernier m’apprend que tout l’argent trouvé sur moi à Aix-la-Chapelle a été. saisi et que la direction de Werden prélève sur les sommes enlevées un mark par jour pour « frais d’entretien. » Visite chez le contre-maître en chef, qui, à son tour, inscrit mon nom sur un registre, sans me dire d’ailleurs à quelle besogne je vais être employé. Comparution chez le directeur de la prison, qui s’informe du motif de ma condamnation : un cas grave, dit-il, dénotant des intentions particulièrement criminelles.

En sortant de chez le directeur, je rencontre De Scheemaecker.