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Nous échangeons quelques mots à la dérobée : mon pauvre camarade me raconte qu’il a été occupé tout un après-midi, côte à côte avec les deux Allemands entrés ici avec nous, à nettoyer au papier de sable des ustensiles hygiéniques. Il a dû, pour sa part, en frotter une douzaine. Voilà comment le pays qui se proclame le plus civilisé du monde traite ceux qui sont coupables d’avoir servi leur patrie. C’est cela qu’ils appellent « mater notre esprit de révolte. »

Nous terminons par la visite du médecin, « une brute alcoolisée, » m’a annoncé le Belge employé au secrétariat. La visite a lieu dans une des salles de l’infirmerie. Avant d’entrer, on nous fait mettre en chemise. Un surveillant, aidé du médecin, nous fait subir un interrogatoire sommaire. Cet aimable homme veut, à toute force, savoir pour quel crime je suis ici. « Ah ! ah ! vous avez fait de la propagande patriotique ! Vous avez travaillé à mettre l’Allemagne par terre (kaput) ! Et vous avez reçu douze ans pour cela ! C’est beaucoup trop peu. » On nous appelle chez le médecin. Cette fois, la chemise même est de trop. Ensemble, dans le couloir qui précède l’infirmerie, nous dépouillons la harde infecte qui nous tient lieu de linge de corps, et, tour à tour, nous comparaissons devant la Faculté. Un petit homme rouge, couperosé, à tête de bouledogue. L’examen, cette fois, est encore plus rapide. Je demande au médecin l’autorisation de pouvoir porter quelques-uns des vêtements de dessous que j’ai apportés avec moi.

— Vous avez, me répond-il, à vous contenter des vêtements de la prison. Le règlement est le même pour tous.

— Je me permets de vous faire observer qu’à l’entrée de la saison froide, il est dangereux de quitter les vêtements chauds auxquels on est habitué. Je suis certain, à ce régime-là, de tomber malade.

— Vous êtes ici au bagne et vous n’avez rien à réclamer,

— Je le sais, mais vous conviendrez avec moi qu’il vaut mieux prévenir une maladie que de se soigner quand il est trop tard.

— Taisez-vous. Si vous tombez malade, il y a ici un lazaret pour vous soigner. Et si vous mourez, nous avons un cimetière pour vous enterrer. Ah ! ah ! Monsieur se croit ici chez ses, amis, les Anglais ou les Français. Monsieur oublie qu’il est un forçat, un criminel. Sachez, une fois pour toutes, que vous