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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/895

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de dix ou douze prisonniers. Les baigneurs, parmi lesquels on coudoie fréquemment des forçais boches, sont séparés les uns des autres par de crasseux rideaux de toile brune. Toute l’opération du bain, y compris le déshabillage et le rhabillage, doit être terminée en quelques minutes. Au signal du surveillant, on enfile ses vêtements avant d’avoir eu le temps de s’essuyer, ou bien on se sauve à moitié nu…


On se fait à la solitude, au silence, au travail, encore qu’à la longue celui-ci doive paraître abrutissant. La petit contremaître râpé qui m’apporte le papier et la colle destinés à la confection de mes sacs ne me fait jamais de remarques et je jouis dans ma cellule d’une liberté relative.

Ce dont je souffre le plus, c’est de l’insuffisance de la nourriture et surtout du froid. Nos repas se composent invariablement de brouets visqueux ou aqueux, légumes cuits à l’eau, assaisonnés parfois d’une graisse suspecte, invraisemblables bouillabaisses de poires sauvages, de figues et de choucroute. Deux tranches par jour d’un pain gluant, dont la vue seule suffirait à ôter l’appétit. Une fois par semaine, une portion de pommes de terre accommodées au vinaigre et un petit poisson. Au début, je touchais à peine à cette peu engageante cuisine. J’ai fini par m’y accoutumer, mais la plupart des politiques meurent de faim à ce régime.

Quant au froid, nous en pâtissons tous. Bien que l’automne cette année, soit particulièrement rigoureux, nos cellules ne sont presque pas chauffées. La nuit, je grelotte sous mes deux couvertures de coton. Si je le pouvais, je dormirais tout habillé, mais cela est contraire au règlement des prisons allemandes, et tous les soirs, au moment du coucher, c’est-à-dire à six heures et demie, chacun doit déposer ses bardes, à l’exception de la chemise et du caleçon, à la porte de sa cellule. J’ai essayé de tricher, en dissimulant dans un coin le pantalon ou le gilet, mais la fraude a été découverte presque chaque fois. Certaines nuits, le froid est si vif qu’il est impossible de fermer l’œil. Le jour, la situation est encore pire. Nos habits de toile constituent une protection absolument insuffisante contre la rigueur de la température en cette saison. Et toujours pas moyen d’obtenir un vêtement plus chaud. Seuls, un certain