Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/901

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entre nous, — contre les surveillants et les contremaîtres, cris des gardiens contre les détenus, pendant le travail, pendant les mouvements, dans les couloirs. Un billet surpris, une conversation échangée d’une fenêtre à l’autre valent une interdiction de fumer pendant un mois, ou une journée de cachot. Avoir fumé en dehors des trois jours de la semaine où cette douceur est tolérée se paie également d’un séjour au cachot.


À Cassel, tout comme à Werden, le froid et la faim étaient nos grands ennemis.

Enfermés presque tout le jour dans nos cellules, sans vêtements chauds, sans feu, bien souvent, même au cœur de l’hiver, la plupart d’entre nous étaient gelés, transis.

Quant à la nourriture, elle était encore plus insuffisante, plus médiocre que dans ma première résidence. De mois en mois on diminuait nos maigres pitances et nos soupes devenaient plus aqueuses. Si encore ce qu’on nous donnait avait été mangeable ! mais la plupart du temps la soupe était tout simplement écœurante et son odeur suffisait à soulever le cœur. Il y avait, notamment, une certaine soupe au poisson, dont on nous servait trois et jusque quatre rations par semaine et qui était bien le brouet le plus abominable qui se puisse imaginer. Cette soupe restera célèbre parmi les hôtes des prisons allemandes. Quand elle figurait au menu, nous en étions prévenus dès la veille, tant étaient puissants les effluves que dégageait dans toute la prison la préparation des moules ou des petits poissons avariés dont se composait cette mixture. Et il y avait des malheureux qui avalaient cette horreur avec avidité !

Les semaines, les mois s’écoulent, et l’on s’acclimate à la vie du bagne. Quelques douceurs viennent tempérer ce qu’elle a de trop dur. Les détenus munis d’une garde-robe suffisante ont été autorisés à porter leurs vêtements personnels et à prendre dans leur cellule une partie de leurs bagages. Les colis de vivres ont commencé à arriver de Suisse, de France, de Hollande. La poste, enfin, m’a apporté des nouvelles de chez moi, et la pensée que dans la Belgique occupée, tout comme dans les prisons de l’Allemagne, rien ne parvient à abattre les courages ni à faire fléchir l’esprit de résistance, nous est d’un réconfort infini.