Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/902

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

D’autre part, il commence à régner parmi le personnel de la prison, un ton plus adouci, des mœurs plus tolérantes.

Il faut distinguer ici entre le haut personnel et les surveillants. Rien à faire avec les fonctionnaires importants. Tous s’entendent à nous éconduire. Tel nous renvoie sans nous écouter. Tel autre, — c’est le cas le plus fréquent et tout à fait caractéristique de la manière boche, — s’esquive en rejetant sur un collègue la responsabilité d’une décision qu’il ne veut pas prendre. Tous excellent à se réfugier derrière le règlement, quitte à ne pas l’appliquer quand il nous est favorable. Ainsi, au lieu d’une heure de promenade, à quoi nous avons droit, on ne nous accorde que trente à quarante minutes, et encore pas tous les jours. On nous refuse de faire venir nos repas du dehors, bien que le règlement nous y autorise. En revanche, quand on peut appliquer le règlement contre nous, on ne s’en fait pas faute.

Ce sont ici les plus pauvres qui sont le plus mal partagés. Ainsi, le règlement autorise les politiques à fumer, trois fois par semaine, cigares et cigarettes, et le secrétaire, qui tient commerce de tabac, s’entend à nous vendre chèrement les cigares de sa boutique. Mais à ceux qui n’ont pas les moyens de se payer ces articles de luxe la direction confisque leurs pipes. De même pour les vêtements. L’administration, se prévalant toujours du règlement, n’autorise les détenus à porter leurs habits que s’ils ont au moins deux costumes complets et assez d’argent pour faire laver leur linge. Les pauvres sont, par le fait même, exclus du bénéfice de la mesure. On ne leur permet même pas, — j’ai reçu à ce sujet des doléances nombreuses, — de retirer de leurs bagages le moindre vêtement chaud. Un Français du nom de Boitelet, souffrant de la poitrine, demande au Hausvater la permission de prendre dans ses bagages un gilet de laine. Il insiste sur la rigueur extraordinaire de la température (on était en février 1917), sur son mauvais état de santé. La demande est traduite en allemand par un Luxembourgeois, appelé comme interprète. Le Hausvater refuse d’y faire droit, sous prétexte que Boitelet ne porte pas ses vêtements et son linge personnels. Le pauvre homme insiste d’une voix éteinte ; il se sent bien mal, dit-il. Nouveau refus. Quinze jours plus tard Boitelet était mort. .

Avec les surveillants, il en va tout autrement. Ici aussi, il