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semaine, en deux exemplaires manuscrits, un pour chacune des ailes occupées par les politiques. Ses rédacteurs, ce sont les journalistes de fortune, les critiques militaires en chambre, les caricaturistes et les poètes d’occasion qui veulent bien s’engager à apporter chaque semaine une parole de réconfort à leurs compatriotes. Pas de comité de rédaction. Les collaborateurs du journal ne se voient jamais ; la plupart ne se connaissent même pas. Les articles sont envoyés à l’un d’entre nous, pour la mise en pages et pour les deux copies du journal. Celui-ci est ensuite confié aux calfats, qui le font circuler de cellule en cellule, en le glissant par la fente qui existe entre la porte et la muraille.


Et ainsi le temps passe. Pour résister à la dépression, pour faire preuve de vaillance en face de l’ennemi qui nous observe, pour s’élever au-dessus des privations et des tracas qui sont le pain quotidien du forçat, les énergies se tendent, les volontés s’arc-boutent. « Je ne regrette rien et, si je le pouvais, je recommencerais ; et je ne demande qu’une chose, c’est que nos alliés aillent jusqu’au bout : » voilà ce que disaient, voilà ce que pensaient même les plus éprouvés. L’espoir du lendemain, le sentiment du devoir accompli, le caractère méritoire de l’épreuve, la conscience d’une vie spirituelle plus haute et d’une liberté intérieure contre laquelle tous les gardes-chiourme du monde ne sauraient prévaloir, voilà ce qui nous soutenait, voilà ce qui nous permettait d’envisager sans effroi une continuation encore longue de notre captivité.


LE MARTYRE DES HUMBLES

C’est pour certains d’entre nous que cette vie a été un martyre. Je veux parler des humbles, des indigents. J’ai déjà insisté sur ce point, mais je dois y revenir, car ce n’est qu’après quelques mois de séjour à Cassel que j’ai commencé à voir clair dans bien des choses qui, tout d’abord, ne m’étaient apparues que confusément. Or donc, un des traits caractéristiques du régime de Cassel, c’est la différence faite entre les gens aisés, les « intellectuels, » — et les pauvres : ouvriers, cultivateurs,