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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/906

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avec des forçats allemands. Ils partent ensemble le matin, travaillent et prennent leur repas côte à côte, et c’est encore avec des bandits allemands qu’ils passent la nuit en cellule. Un nouvel arrivage de prisonniers, — des internés de Werden, — a porté le nombre des politiques à 370, le nombre total des détenus à 730. Comme il n’y a, guère que 450 cellules utilisables, il a donc fallu loger un grand nombre de prisonniers à trois : c’i-st le cas pour presque tous mes voisins. Mais, seuls, les travailleurs du dehors sont astreints à cohabiter avec des Allemands. Il y a parmi eux une forte proportion de tout jeunes gens et, dans beaucoup de cas, un politique est logé avec deux Boches. À noter, d’autre part, qu’à ces malheureux sont réservées les cellules les plus froides, les plus malsaines de la prison, construites en sous-sol. D’était révoltant, c’est un ouvrier belge qui a été investi, pour ces cellules, des fonctions de calfat et à qui incombe, par conséquent, le service des nombreux forçats allemands habitant cette station : ceux-ci s’entendent, d’ailleurs, à lui embellir l’existence, et ce sont de véritables trous à porcs que le pauvre garçon a charge de nettoyer chaque matin après le départ de ces hôtes de choix.

Il ne faudrait pas conclure de là que, seuls, les petits sont brutalisés. Nous le sommes tous et il n’est personne parmi nous qui puisse se croire à l’abri du cachot. Il y a des choses que la direction ne passe à personne, en particulier tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à une tentative d’insubordination ou de révolte. Puis, il y a des détenus réputés suspects, qu’on punit à tort et à travers, des surveillants indécrottables et que l’administration prétend ne pas désavouer.

Moi-même, j’ai fait mes deux jours de cage comme auteur supposé d’un pamphlet, d’ailleurs insipide, qui avait circulé parmi les prisonniers de mon aile. La vérité était que le factum avait séjourné dans ma cellule et que, par suite d’une indiscrétion, ce détail était parvenu à la connaissance de l’administration. Le lendemain, je suis appelé devant une espèce de tribunal composé du directeur, du Hausvater et du surveillant en chef. Bien entendu, on ne m’interroge pas ; on se borne à me déclarer que, puisque les papiers viennent de chez moi, j’en suis l’auteur. J’ai beau protester de mon innocence et, sans désigner les noms des vrais coupables, faire remarquer que ces inepties ne s’accordent guère avec mes opinions bien