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connues : on ne m’écoute pas et on m’envoie au cachot. Un trou à moitié souterrain, de la même dimension que les cellules ; mais d’énormes barreaux de fer placés à un mètre de la fenêtre et à un mètre de la porte et occupant toute la hauteur de la cellule réduisent l’espace habitable à cinq mètres carrés. Les murs ne sont pas crépis, mais ont dû être chaulés à une époque reculée ; la brique paraît à nu. Un des côtés de ma cage est occupé par un grabat de bois, avec une planche comme oreiller. Dans un coin, un seau rouillé, à moitié détraqué. Une cruche et une écuelle de fer complètent ce décor de mélodrame. Pendant deux jours j’ai arpenté mes cinq mètres. Les nuits surtout m’ont paru manquer de confort. À tout prendre, je n’ai nullement regretté mon séjour : grâce à lui j’ai pu ajouter à mes souvenirs de bagne un chapitre qui me manquait.


Mais, je le répète, ce qui est, pour un nombre restreint de privilégiés, impression rare, est, pour la grande masse des petits, le pain quotidien. Et j’ajouterai que, pour beaucoup de ces petits, la peine du cachot est appliquée avec des raffinements de cruauté qui déconcertent.

J’ai reçu pas mal de doléances sur ces terribles séjours aux arrêts, en particulier sur le supplice des fers, qu’on applique aux prisonniers coupables d’infractions graves. Je n’en retiendrai qu’une, celle d’un chef-porion de Marcinelle, Antoine Wees. Homme énergique, doublé d’un ardent patriote, Wees ne se bornait pas à se plaindre de ses souffrances à ses camarades : il ne craignait pas de dénoncer en haut lieu les abus dont ses compatriotes et lui-même étaient chaque jour victimes. La lettre suivante, qui fut adressée par Wees à l’Empereur d’Allemagne le 2 août 1917, décrit cette lamentable situation d’une manière émouvante.

La lettre commence par raconter les misères de tout genre que j’ai déjà fait connaître : traitements brutaux, travail prolongé, alimentation défectueuse, cohabitation des prisonniers politiques avec les forçats boches. Puis Wees continue ainsi :


« Cette situation abominable était sans issue. Nul espoir de la voir s’améliorer. L’esprit et le corps affaiblis, je perdis patience, et je me décidai à fuir, préférant la mort rapide mais honorable par la