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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/908

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balle d’une sentinelle à la mort lente et ignominieuse qui nous attend ici. Je me procurai des habits civils, je les cachai sous mes vêtements de forçat, prêt à profiter de la première occasion propice.

Mais, dénoncé par un détenu, avant même d’avoir commencé l’exécution de mon projet, je fus bousculé, frappé, pris à la gorge, ramené au bagne et mis aux fers, aux arrêts de rigueur. Et voici le supplice. Les bras sont écartés, pris dans une barre de 60 centimètres, les chevilles dans de gros anneaux, de lourdes chaînes allant des pieds à une ceinture de fer, sans compter les cuirs et courroies qui immobilisent les mouvements. Je ne pouvais, dans ma cage, que faire de petits pas avec peine, et pourtant autrefois j’étais robuste. Même assis ou couché, les douleurs sont intolérables. Nuit et jour le supplice dure sans interruption. Pour manger on ne m’enlevait aucun rien, et quand je faisais les quelques pas nécessaires pour prendre ma soupe claire à portion réduite, j’en renversais la presque totalité.

À mes souffrances de corps se joignirent les souffrances de l’estomac et les affres de la faim. Plusieurs fois je n’évitai la syncope que par un effort de volonté. Ce supplice est si terrible qu’un jeune Allemand, détenu de droit commun, puni de la même peine, pour un cas analogue, tomba malade et on le délivra de ses liens au bout de six jours. Mais c’est un criminel. Pour un prisonnier politique on n’eut pas la même commisération et on me laissa onze jours dans cette situation. Pendant mon supplice, je ne trouvai un peu de pitié que dans le regard de mon gardien ; quant à ses paroles, certainement consolantes, je ne pouvais les comprendre, ne connaissant pas la langue allemande. Du peu qu’il a pu faire je lui suis reconnaissant.

Mes poignets et chevilles étaient ulcérés, mon corps couvert de pustules ; mes pieds saignaient. Le médecin vint. Je croyais qu’il venait remplir le devoir d’humanité que son métier lui commande. Hélas non ! C’est en curieux qu’il pénétra dans mon cachot, accompagné de deux amis, officiers comme lui : c’était pour me montrer à ses camarades comme on fait d’une bête fauve. Il leur dit, en riant méchamment : « C’est un Français. « Il faisait erreur : je suis belge. Et tous les trois aussitôt de rire aux éclats. Les quolibets qu’ils me lancèrent, je ne les compris qu’à l’intonation moqueuse. Cette pénible scène me fut moralement atroce. Je n’aurais jamais cru que des hommes instruits, des chrétiens peut-être, officiers de l’armée de Votre Majesté, ayant l’honneur de porter une épée, pussent être animés de sentiments assez lâches, assez vils et assez bas, pour venir assister au martyre d’un prisonnier de guerre réduit à l’impuissance !

Je sortis enfin, mais c’était pour comparaître au jugement du directeur, qui, me dit-il, pour n’avoir pas autrefois, avant ma tentative de fuite, porté mes plaintes à sa connaissance (et comment