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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/909

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l’aurais-je fait puisqu’il ne reçoit pas les politiques ?) me condamnait à cinq jours de nouveaux. arrêts dans les mêmes conditions. Malgré mes plaies, ulcères et boutons, je n’ai pas demandé la visite du médecin. À quoi bon ? Pour qu’il me donne encore cinq jours de cachot, d’après son tarif réservé aux politiques ? Je lis constater ma situation par mes camarades, qui pourront en témoigner. Voilà ma lamentable histoire, Sire… »


J’ai pu contrôler la parfaite exactitude de la plupart des affirmations qui précèdent. J’ai eu en mains l’appareil de torture qui a servi à martyriser notre compatriote et tiens de la bouche d’un surveillant qu’il pèse 21 kilos. Quant aux plaies de ses poignets et de ses chevilles, Antoine Wees n’a pas besoin de témoins pour attester qu’ils les ont vues. Il m’a montré ses pauvres membres blessés après sa sortie du cachot ; il me les a fait voir quatre mois plus tard. La marque des fers y est imprimée pour toujours. Les membres ont été atteints jusqu’à l’os.


Si ces avanies, ces châtiments brutalement appliqués nous indignent, les prisonniers qui en étaient victimes en souffraient pourtant moins qu’on ne pourrait croire. Ils courbaient la tête sous l’insulte ; ils acceptaient avec un stoïcisme étonnant durs travaux, injures, promiscuité avec des criminels, séjours au cachot. C’est que, pour eux, il y avait une question plus importante et qui primait tout le reste : cette « question de vie » qui s’était déjà posée pour les détenus de Werden. Vers elle allaient leurs préoccupations, leurs angoisses. Le reste n’avait, aux yeux de la plupart, qu’une importance secondaire.

Depuis janvier 1917 l’état sanitaire du plus grand nombre des prisonniers de Cassel est devenu inquiétant. Jusqu’en août il n’a fait qu’empirer. Nos pauvres camarades baissent à vue d’œil ; pas n’est besoin de l’œil d’un médecin pour s’en assurer. Les dos se voûtent ; les visages se creusent ; les regards perdent leur éclat. J’ai rencontré l’ouvrier Van Assche, qui est arrivé ici de Werden en même temps que moi, un colosse, aux épaules herculéennes : je ne l’ai pas reconnu, tant il avait fondu. Je ne sais qui il faut plaindre le plus, des jeunes dont l’appétit vorace n’est jamais contenté, ou des vieux, auxquels font défaut les soins les plus élémentaires. On continue à souffrir