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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/910

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du froid. Pendant l’hiver si rigoureux de 1016-1917, c’est à peine si nous avons été chauffés. Par les froids les plus intenses, en décembre, en janvier, en février, la chaufferie ne donnait presque pas de chaleur et cessait de fonctionner à partir de midi. À certains jours, alors que le thermomètre marquait 28 degrés au-dessous de zéro, on n’a pas fait de feu du tout. Bien que très chaudement couvert, j’ai beaucoup pâti pendant toute la durée de ce terrible hiver. Mais qu’ont dû être les souffrances de ceux qui n’avaient pour se protéger du froid que les vêtements de toile de la prison et à qui l’on refusait systématiquement d’user de leurs objets personnels ?

Le grand tourment des malheureux n’est pourtant pas encore le froid mais la faim. L’insuffisance et la mauvaise qualité de la nourriture font chique jour davantage sentir leurs effets et, loin de s’en préoccuper, l’administration rogne de plus en plus sur nos maigres rations.

À partir de janvier on nous a supprimé les pommes de terre et la morue. En avril et en mai, on a réduit à deux reprises notre ration de pain. Nous ne recevons plus maintenant que deux minces tranches par jour d’un pain aigre et gluant, dans la composition duquel il ne doit, à coup sûr, entrer que bien peu de farine, mais où certains de mes compagnons ont trouvé des vers. Quant aux soupes, elles se composent presque invariablement soit de rutabaga conservés parfois à moitié gâté, d’un goût affreusement amer, soit de l’horrible mixture à base de poisson mal odorant que j’ai décrite plus haut : on nous sert maintenant ce dernier mets jusque quatre fois par semaine.

Certains d’entre nous ne laissent même pas pénétrer ces horreurs dans leur cellule. Pour les pauvres, alors, c’est jour d’aubaine. Ils se lancent, eux, comme la pauvreté sur le monde, sur ces soupes qui provoquent des nausées chez leurs camarades plus délicats, il leur arrive de consommer six à sept litres en un jour de ces brouets d’eau claire et de produits avariés. Résultat : beaucoup se rendent plus malades que s’ils se contentaient de la ration officielle. Dilatations de l’estomac, pieds gonflés, empoisonnements, abcès deviennent choses courantes. Quant aux Allemands, ils sont encore plus mal partagés. De ma fenêtre, j’en vois, pendant la promenade, tandis que le surveillant a le dos tourné, ramasser, dans les tas de détritus