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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/912

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Ce que j’ai à dire des malades est encore plus triste.

Le médecin est une brute sans cœur. C’est de plus un négligent et un ignorant. Il ne vient que trois jours par semaine donner ses soins à une population de plus de 700 hommes, dont l’état débile et les prédispositions maladives lui sont connues. Le reste du temps il est remplacé par son assistant, un surveillant du nom de Rouck, un méchant homme qui nous déteste et qui a perpétuellement le sarcasme ou l’invective à la bouche. Pour être examiné par le médecin, il faut se faire inscrire la veille et se rendre à la salle de la visite : on attend son tour dans le hall de la centrale, debout, la face au mur, pendant une heure, deux heures ou davantage. Les prisonniers malades en cellule ne sont jamais visités ; quel que soit leur état, il faut qu’ils se rendent à la visite.

À la plupart de ces malades il faudrait des fortifiants, un régime alimentaire plus nourrissant, du repos. En règle générale, pareilles demandes sont impitoyablement écartées. C’est à peine si les malades sérieusement atteints réussissent à obtenir les remèdes qui leur sont indispensables. La pharmacie manque des produits les plus élémentaires. Bien souvent, surtout s’il s’agit de remèdes un peu coûteux, on déclare aux malades qu’ils n’ont qu’à s’en procurer à leurs frais.

La visite est quelque chose d’inénarrable. La moitié du temps le médecin se borne à examiner distraitement ses clients ou à les renvoyer sans les avoir seulement écoutés, surtout si leur casier judiciaire est lourdement chargé. L’aimable Rouck a la spécialité de ponctuer ces renvois de quelque grosse bouffonnerie destinée à terroriser la galerie. Quelques malades sont traités sur-le-champ : tel est le cas des porteurs d’abcès. Ces derniers sont nombreux : raison de plus pour aller vite en besogne. Sans prévenir le patient, le médecin le renverse sur une chaise-longue, lui fait une incision de deux ou trois centimètres, puis, — tous ces détails m’ont été confirmés de vingt sources différentes, — écartant les lèvres de la plaie béante, il les coupe avec des ciseaux. Cette boucherie terminée, la plaie est antiseptisée tant bien que mal et bandée par les soins de l’ineffable Rouck, et le patient, plus mort que vif, est renvoyé dans sa cellule. À partir de ce moment, il n’a qu’à se tirer