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d’affaire par ses propres moyens. Plus personne ne s’occupera de lui. S’il croit avoir besoin d’un pansement, il s’inscrira pour la prochaine visite.

Les suites de ce traitement barbare ? affaiblissement général ; plaies démesurées, parfois purulentes, ayant grand’peine à se refermer, alors qu’il eût suffi d’une simple ponction pour faire disparaître l’abcès ; dans certains cas, complications graves. Deux faits seulement entre beaucoup d’autres.

De Muyter, un jeune Flamand entré à Cassel plein de santé, est opéré d’un abcès dans les conditions que je viens de dire. Il souffre sans se plaindre. À quoi bon, pour retomber entre les mains d’un médecin qui ne s’occupe de ses malades que pour les brutaliser ? Son état empire. Par bonheur, l’aumônier vient le voir. Il juge De Muyter dangereusement malade, signale immédiatement son cas au docteur. Celui-ci, à titre exceptionnel et sur les vives instances de l’aumônier, se rend dans la cellule occupée par De Muyter dans les sous-sols ; il reconnaît, en présence de l’aumônier, que l’intéressé est en danger de mort, mais se refuse toutefois à lui donner ses soins dans sa cellule : cela est contraire au règlement et De Muyter n’a qu’à se rendre, comme un autre, à la visite. L’aumônier administre à De Muyter les derniers sacrements. Après quoi le pauvre garçon, presque mourant, est forcé de monter de son souterrain jusqu’à la salle de visite. Debout il attend que son tour soit venu, debout il subit l’examen médical. Le soir même il était mort.

Un Bruxellois, M. Merjay, arrive de Werden, en février 1917, avec un petit abcès à la hanche. Comme il ne souffrait guère, il n’avait rien dit de son mal au médecin de Werden, se défiant, avec quelque raison, de la sollicitude de ce personnage et préférant attendre son transfert à Cassel pour se faire soigner. Notre Esculape le reçoit et procède avec lui comme avec tous les autres. Brusquement, sans le prévenir, il entaille mon pauvre camarade sur une longueur de quatre centimètres, enlève tout l’abcès en deux coups de ciseaux et, par le même moyen, rectifie les lèvres de la plaie. Merjay souffre atrocement. Les pansements qu’on lui fait sont médiocres. Il entre dans un état de faiblesse inquiétant. Le médecin, à qui il demande un régime fortifiant et qui sait qu’il est arrivé de Werden dénué de tout, lui répond qu’il n’a qu’à faire venir des colis. Après plusieurs semaines la